1 – Comment revoyez-vous les origines de l’œuvre d’Eurasia au Vietnam ?
Je vois cette œuvre comme conduite par le Saint-Esprit. A peine arrivés sur le territoire vietnamien en 1988 à une époque où il était absolument interdit à une association chrétienne de pénétrer dans le pays et avant de rencontrer les autorités, j’ai reçu cette parole: « que ta lumière brille à la bonne hauteur, ni trop haut, ni trop bas ».
Suite à cela, Roland Cosnard, convaincu que c’était le Saint-Esprit qui nous ouvrait la voie, a annoncé dès le lendemain aux autorités vietnamiennes qu’il était pasteur, accompagné par un chrétien. Et qu’il appréciait d’être reçu. Il fallait voir le visage crispé et le regard glacial du Commissaire Politique et du Commissaire du Peuple ! Nous nous attendions à être reconduits à la frontière, mais nous avons été acceptés. Quelques années plus tard, le même Commissaire Politique nous a avoué : « Si nous avons toléré votre présence, c’est parce que vous avez eu le courage de vos opinions à une époque où il était interdit de le formuler ». La voie était ouverte.
2 – Comment cette œuvre s’est articulée aux Églises locales ?
L’œuvre humanitaire nous a permis d’être reconnu officiellement en tant qu’ONG par les autorités ce qui nous ouvrait la possibilité de pénétrer à l’intérieur du pays et de rencontrer les responsables religieux déjà en place, officiellement membres de la CMA(1), mais qui par ailleurs avaient formé des groupes indépendants. C’est à ce moment-là que l’œuvre a pris son essor. Avec patience, Roland Cosnard a travaillé avec chacun de ces responsables. Et à force de persévérance il a réussi à les faire s’accepter les uns les autres malgré leurs différences et former une UNION regroupant toutes les tendances. Ce fut la création de « l’Union des églises évangéliques du Viet Nam »(2). Ce que le pasteur Cosnard a accompli au Vietnam a été une œuvre de rassemblement et de confirmation de nombreux ministères, à l’encontre d’autres missionnaires, qui eux désiraient implanter leur propre mouvement. Il n’a jamais voulu imposer une œuvre personnelle. Il a toujours travaillé avec la conviction que l’Église au Vietnam doit rester avant tout, de par sa culture, une œuvre vietnamienne indépendante.
3 – Quel rôle a joué la langue française dans les échanges avec le Vietnam ?
L’usage du français a considérablement reculé. Le côté affectif pour la langue française au Vietnam se retrouve dans les chansons de l’époque coloniale qui sont passées dans le répertoire courant vietnamien. La littérature également a eu un rôle très important mais nous le retrouvons seulement chez les personnes âgées. La littérature française traduite en vietnamien est toujours très appréciée, en particulier Victor Hugo, et il n’est pas rare que dans une conversation on nous cite un passage de mémoire en entier. Un responsable politique a qui je posait la question « quelle différence faites vous entre la guerre avec la France et celle avec l’Amérique ». Sa réponse m’a déconcerté : » Avec les américains c’était une guerre. Avec la France c’était une guerre civile, n’oubliez pas que nous étions Français. Les cent ans de présence française nous ont beaucoup apporté… »
Dans le domaine des échanges missionnaires, le rôle de la langue française a été vraiment réduit. Très peu de personnes le pratiquent encore. En revanche, l’usage de l’anglais s’est beaucoup répandu. Nous avons eu recours systématiquement à de très bons interprètes chrétiens. Avec les autorités, les interprètes traduisaient souvent à leur façon et en leur faisant répéter, nous nous apercevions que cela ne correspondait absolument pas à ce que nous avions dit. Heureusement, Roland Cosnard parlait un peu l’anglais, alors nous arrivions à nous faire comprendre.
4 – Comment avez-vous été perçu au Vietnam en tant que protestant français ?
Les Français sont très bien accueillis au Vietnam et nous avons été reçus avec respect car nous n’imposions pas notre façon de penser en voulant installer un mouvement français. Contrairement à des missionnaires d’autres origines qui veulent importer leur mouvement, ce qui suscite de la méfiance, nous avons voulu aider les Vietnamiens à installer leur propre organisation, par la formation et l’enseignement.
5 – Quel est l’aspect le plus marquant du protestantisme vietnamien ?
C’est la simplicité avec laquelle il accepte l’Évangile en son entier avec foi, ne doutant pas. La Parole de Dieu est pour les protestants vietnamiens « Parole d’Évangile ». Malgré la répression ils se réunissent par petits groupes (églises de maison). Lors de l’une de ces réunions, le frère qui nous accueillait s’approche de moi et me dit : « Surtout, ne chantez pas trop fort ! ». Je lui demande : « Vous risquez d’avoir un problème ? » ; il me répond : « Les voisins sont obligés de me dénoncer sinon ils sont coupables comme moi, Je risque la prison mais ce n’est pas grave, j’en sors… ». La réunion a eu lieu et nous avons chanté en sourdine. A d’autres reprises nous avons été obligés de sortir par la fenêtre, alors que la police était à la porte…