Formé à Cambridge, professeur depuis quatre décennies à l’Université de Stirling en Ecosse, David W. Bebbington est un des historiens vivants les plus connus au monde sur les terrains protestants. La raison tient notamment dans la popularité de son fameux « quadrilatère » (crucicentrisme, conversion, biblicisme, activisme) qui permet de cerner, dans une définition opératoire, le protestantisme évangélique (ou évangélisme). Venu en France au courant du mois de février 2018, il a accepté un double entretien pour Regards protestants. Dans ce premier volet, il nous présente ses recherches, et une appréciation générale sur la francophonie protestante.
Pouvez-vous vous présenter ?
Mon nom est David Bebbington, je suis né dans la première moitié du XXe siècle, en 1949, à Nottingham, au Nord des Midlands anglais. J’y ai été scolarisé dans une très bonne école, la Nottingham High School, j’y ai reçu une éducation de rêve ! Mes parents, des frères de Plymouth, ont rejoint une Eglise Baptiste lorsque j’avais neuf ans. Quant à mon école, lors de la réunion du matin (morning assembly), l’atmosphère était imprégnée d’un ethos anglican. Pour résumer, mon enfance et mon adolescence ont été marqués par un arrière-plan baptiste, avec une saveur anglicane en plus. Ensuite, je suis allé à Cambridge où j’ai étudié au Jesus College, d’abord en premier cycle universitaire (undergraduate), puis en cycle supérieur (postgraduate). J’ai ensuite obtenu un poste de jeune chercheur (research fellow) puis me suis retrouvé maître de conférences à l’Université de Stirling, en Ecosse. J’y ai effectué toute ma carrière (42 ans de professorat). J’ai rencontré mon épouse, Eileen, à Cambridge. Ma fille Anne et sa famille vivent à Dunblane, non loin de Stirling, et figurez-vous que mon épouse a décidé d’écrire une biographie à mon sujet, qu’elle a publiée[1]. Une initiative fort rare ! Elle a également écrit d’autres ouvrages. Je dois dire que j’ai beaucoup appris, y compris sur moi-même, en lisant la biographie rédigée par Eileen !
Quelles sont les recherches que vous entreprenez en ce moment ?
Mon aire de spécialisation est le monde anglophone, et c’est dans cette direction que je poursuis mes recherches, tout en étant conscient de la part essentielle jouée par la francophonie dans l’histoire du protestantisme. Mon grand projet en ce moment est une étude comparée du méthodisme wesleyen dans la cité de Leeds et dans la région du Yorshire, d’une part, et dans les Shetland, îles septentrionales au Nord de l’Ecosse. On a oublié que durant la période victorienne, le méthodisme constituait le second plus grand ensemble confessionnel en Grande-Bretagne derrière l’anglicanisme. Il était très puissant à Leeds, très riche, alors que dans les Shetland où il était bien implanté aussi, la condition sociale des fidèles était au contraire très modeste. Mon angle est celui de l’histoire culturelle. Mon principal objet de recherche est de comprendre, dans le contexte culturel, économique et social de ces deux espaces contrastés, comment ces méthodistes s’organisent pour le travail missionnaire, l’œuvre d’évangélisation, à la fois du point de vue des institutions religieuses et du point de vue de la société environnante.
Des projets d’ouvrage ?
J’ai passé du temps à l’université de Baylor (au Texas, Etats-Unis), où j’enseigne régulièrement, pour réviser deux ouvrages. L’un s’intitule Patterns in History, un ouvrage que j’avais rédigé en 1979 dans la perspective d’une articulation entre Histoire et réflexion chrétienne. Cet ouvrage avait désespérément besoin d’une révision, car dans l’état original du manuscrit, le Mur de Berlin (tombé en 1989) est toujours considéré comme debout… Et j’ai ajouté un chapitre substantiel sur le postmodernisme. Dans ce chapitre, j’ai cherché à engager le débat avec des intellectuels français comme Jacques Derrida, et plus encore, Michel Foucault. Un autre ouvrage qu’il m’a été possible de réviser est Baptists around the World, pour la seconde édition, couvrant toujours la période qui va du XVIIe au XXIe siècle. L’ouvrage comporte notamment des chapitres mis à jour sur l’Amérique latine, l’Inde, en particulier le Nagaland (à l’Est de l’Inde), sans doute l’un des territoires les plus baptistes au monde, avec 80% de la population encadrée par les Eglises baptistes ! Ces deux ouvrages révisés devraient paraître au cours de cette année 2018. Enfin, une autre des activités actuelles est de continuer à coordonner les conférences ICOBS (International Conferences On Baptist Studies). Je sais que les baptistes ne sont pas très nombreux en France, mais à l’échelle mondiale, ils constituent une des plus grandes familles du protestantisme, et beaucoup de travaux historiques restent à faire ! La prochaine conférence internationale aura lieu au Texas, à Baylor University, sur le thème « Les baptistes, l’Evangile et la culture »[2]. Dans les conférences passées, nous avons déjà eu plusieurs fois l’occasion d’écouter des contributions sur le baptisme en France et en francophonie, et nous espérons bien pouvoir bénéficier encore à l’avenir de ce regard francophone.
Justement, comment percevez-vous la francophonie ?
Il y a là un très vaste terrain de recherche. Je n’en suis pas spécialiste, mais je suis très conscient de la dette que le protestantisme non-conformiste britannique cultive à l’égard des Huguenots. Après la Révocation de l’Edit de Nantes en 1685, de nombreux protestants français ont dû prendre les chemins de l’exil, en particulier en Angleterre, bien-sûr, mais aussi en Irlande et en Ecosse. Cet impact des huguenots sur « notre » protestantisme anglophone a été significatif et a été étudié en partie, mais d’autres recherches restent à faire. Les descendants de ces Huguenots dans les îles britanniques sont souvent demeurés des protestants très actifs. Dans les figures protestantes de tradition congrégationaliste du XIXe siècle que j’ai étudié, on retrouve régulièrement maints personnages qui portent des noms français. Lorsque je visite la crypte de la cathédrale de Canterbury, où se tient toujours l’Église huguenote, une des premières établies par des protestants du Refuge, cet héritage francophone me saute aux yeux. N’oublions pas que Canterbury, c’est la cathédrale de référence pour l’ensemble de la communion anglicane dans le monde !
En-dehors de l’héritage du Refuge, d’autres occasions de croiser le francophonie ?
J’ai pu croiser certains terrains de la francophonie évangélique en 2002, à l’occasion d’un colloque EPHE en Sorbonne (Paris, France) auquel participait notamment Jean-Paul Willaime, directeur d’études pour la chaire d’histoire et sociologie des protestantismes. Puis en 2009, j’ai eu l’occasion de me rendre à Genève, pour intervenir en tant que conférencier à l’occasion des 500 ans de la naissance de Jean Calvin. Qui était francophone ! J’ai été très heureux de voir le musée international de la Réforme, et l’église dans laquelle Calvin lui-même a prêché durant des années. Pour la petite histoire, mon beau-frère a épousé une Suissesse, et ils vivent à Neuchâtel, où ils sont engagés dans une paroisse protestante. C’est une lucarne ouverte aujourd’hui sur le rôle du protestantisme en Suisse, resté significatif. Sur le continent américain, j’ai également eu l’occasion de découvrir certains aspects du protestantisme francophone à Montréal, au Canada. Je suis très conscient du poids international du protestantisme francophone, et je souhaite qu’on dispose bientôt de davantage de travaux de recherche sur ce vaste terrain.
[1] Eileen Bebbington, A Patterned Life, Faith, History and David Bebbington, Wipf & Stock, 2014
[2] Programme de la conférence disponible ici : https://www.baylor.edu/religion/index.php?id=947956