Auteur d’une thèse de doctorat à l’Université Libre de Bruxelles sur le Ministère Chrétien du Combat Spirituel, un grand ministère de réveil congolais, le Dr Etienne Tchamulubanda nous en apprend davantage sur ses recherches, et partage son regard sur la francophonie.

1/ Dr Etienne Tchamulubanda, pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Etienne Tchamulubanda, prêtre catholique, originaire de la République Démocratique du Congo. Je vis en Belgique depuis quelques années pour des raisons de pastorale et d’études. Après quelques années passées à l’Université Catholique de Louvain-la Neuve où j’ai obtenu un master en théologie, j’ai entrepris, sur demande de mes supérieurs, un master en droit international, orientation Droit de l’homme. Après ce cursus, j’ai décidé de faire une thèse de doctorat dans une matière qui me permettrait de valoriser mes compétences académiques enracinées dans la richesse de l’interdisciplinarité. La théologie, la philosophie, la sociologie et le droit m’ont, certes, fourni les outils nécessaires pour entreprendre le travail de « thésard », une belle aventure académique que je n’avais jamais connue.

Mon choix était alors fait et j’ai jeté mon dévolu sur l’étude de l’émergence des mouvements religieux pentecôtistes et évangéliques en RDC. J’ai été admis à l’Université libre de Bruxelles (ULB) sous la direction du professeur Jean-Philippe Schreiber, à qui j’adresse toute ma reconnaissance. Le 28 avril 2023, j’ai soutenu ma thèse de doctorat, sur « Les Nouveaux Mouvements religieux, entre émergence et transnationalité. Le cas du Ministère chrétien du Combat spirituel ». Je remercie le professeur Sébastien Fath pour sa participation active et ses pertinentes contributions en tant que membre de jury, ainsi que pour son intérêt à cette thématique passionnante sur le revivalisme évangélique et pentecôtiste en Afrique subsaharienne.

2/ Qu’est-ce qui vous a poussé à effectuer votre thèse de doctorat ?

En réalité, il n’y avait pas de doute, pour moi, sur le projet de réaliser une thèse de doctorat, afin de clôturer mes études en Europe. Car, ce désir était motivé par l’ambition de continuer le métier d’enseignant entamé au pays, tout en poursuivant des recherches scientifiques. Pour y parvenir, il fallait plus de compétences et de qualifications. Le doctorat, en effet, est le diplôme qui ouvre les portes au métier de chercheur et de professeur d’université.

Au-delà de cette certitude, il y avait, cependant, quelques hésitations sur le choix de la discipline et du sujet de la recherche ; car, j’avais la possibilité de faire ce doctorat en droit comme en théologie. Mais, c’est la philosophie et la sociologie qui l’ont emporté.

Il est certain qu’être proclamé Docteur après un parcours plein de rebondissements est un motif de fierté et de satisfaction. Cependant, au-delà de motivations d’opportunités qu’offre ce diplôme, il y avait une raison fondamentale de s’engager dans ce projet de thèse. Je suis convaincu que le rôle d’un intellectuel est important au sein de notre société multiculturelle où les peuples sont invités à cohabiter. Un intellectuel reste l’éclaireur qui analyse les phénomènes et propose des pistes des solutions, afin que l’harmonie règne et que le vivre-ensemble soit effectif.

3/ Quelles ont été les principales découvertes faites au cours de vos recherches ?

Ma thèse a consisté, essentiellement, en l’analyse de la dynamique des Nouveaux Mouvements Religieux (NMR) d’obédience évangélique et pentecôtiste, communément appelé « Églises du Réveil », en m’appuyant sur l’étude du Ministère chrétien du Combat spirituel (MCCS) du couple Olangi[1]. Ces communautés dites du « Réveil » connaissent aujourd’hui une grande expansion en République Démocratique du Congo, si bien qu’on parle de la « Surchristianisation »[2].

Dans ma thèse, j’ai présenté le contexte de l’éclosion du revivalisme congolais en le situant dans l’histoire générale du pays, tout en essayant de marquer les étapes importantes dans le processus de la formation de ces mouvements du réveil. L’étude du Ministère du combat spirituel m’a permis de considérer à juste titre la portée des mutations qu’il opère au sein de la société sur le plan social, culturel, politique, voire économique. La notion de la « processualisation »[3] des coutumes démontre le désir des adeptes du mouvement de rompre avec toutes les alliances villageoises (totémique), pour adhérer à l’alliance abrahamique, c.-à-d. chrétienne.

Bref, au-delà d’une bonne synthèse du revivalisme congolais, cette thèse a mis en valeur l’« olangisme », en dégageant les thèmes majeurs de cette doctrine qui sont importants dans les études sociologiques, anthropologiques, etc. des nouveaux mouvements religieux ; tel que la place de la femme, le rôle de la coutume, l’importance de la famille, les effets de la pratique de la délivrance, l’interaction avec le monde politique, etc. Toutes ces pistes de recherche sont pertinentes dans la compréhension de ce phénomène religieux en pleine expansion en Rd Congo et en Afrique subsaharienne.

4/ Comment situez-vous le ministère du combat spirituel par rapport au catholicisme et au protestantisme ?

Le MCCS comme mouvement récent par rapport au catholicisme et au protestantisme porte en lui l’héritage des deux traditions religieuses plus anciennes. Ces deux branches du christianisme ont des différences théologiques (doctrinale, dogmatique, etc.) et pratiques (liturgique, organisation hiérarchique, etc.).

Le ministère du combat n’est pas affilié ni au catholicisme ni au protestantisme. Cependant, considérant certains points de la doctrine et quelques aspects de l’organisation pratique, il y a lieu d’établir sa tendance d’appartenance. Car, la priorité accordée à la bible comme texte normatif et le rejet unanime du culte des saints et de la médiation mariale le situe dans une mouvance proche du protestantisme. Ces axes doctrinaux existent également dans le continuum des mouvements religieux, dont les évangéliques et les pentecôtistes.

5/ Quel regard portez-vous sur l’évolution de la francophonie chrétienne au Congo et en Afrique de l’Ouest ? Nous sommes à l’ère post-cathoprotestantisme, les chiffres parlent également ; le dynamisme, le retour à l’âme et la chaleur africaine ; ère de l’émancipation des tabous.

La francophonie chrétienne en Afrique est un phénomène complexe et dynamique. Elle se recompose et présente une configuration différente de celle d’il y a 50 ans. Au Congo et en Afrique de l’Ouest, elle connait des évolutions remarquables au cours des dernières décennies, marquées par une diversification des expressions religieuses et une affirmation des identités locales. Elle veut témoigner de la vitalité et de la créativité des acteurs religieux : le dynamisme missionnaire, l’engagement social et l’appropriation des cultures locales[4]. Aujourd’hui de nombreux adeptes des différents groupes religieux jouent un rôle dans le développement social, économique et politique de leurs pays et régions. Considérant cela, la francophonie chrétienne représente ainsi un facteur de cohésion sociale et de citoyenneté active.

Tout ce dynamisme s’inscrit dans la perspective de la « postcolonie » en tant que réappropriation ou réinterprétation du christianisme « à l’ère post-cathoprotestantisme ». Oui ! Les courbes ont tendance à s’inverser dans certaines régions d’Afrique et les chiffres parlent évidemment[5]. Néanmoins, ils cachent de fortes disparités régionales et nationales, ainsi que des dynamiques de croissance différentes. Parce que, dans certaines zones, les évangéliques et pentecôtistes (Églises du réveil) affichent un taux de conversion plus élevé que les catholiques, ce qui leur permet de gagner du terrain. Toutefois, il faut nuancer ces tendances, car il existe une grande diversité au sein du protestantisme évangélique, qui regroupe des courants très variés.

Au-delà des chiffres, il est, néanmoins, indéniable que les acteurs majeurs du paysage religieux africain sont confrontés à des défis communs, tels que le dialogue interreligieux, la promotion de la justice sociale ou la lutte contre la pauvreté. Il y a une attitude à prendre aujourd’hui, laquelle doit tenir compte des nouvelles configurations religieuses pour promouvoir l’unité des chrétiens en Afrique, afin de trouver des réponses appropriées aux problèmes du moment. Comme le souligne le pape François dans son encyclique Fratelli tutti: « Nous sommes appelés à être des artisans de paix, à promouvoir et à pratiquer une culture du dialogue dans la vérité et la charité » (n°284).


[1] Le Ministère chrétien du combat spirituel de maman Olangi est une organisation religieuse basée à Kinshasa, en Rdc. Fondé par le couple d’évangélistes Elisabeth Wosho Olangi et son époux Joseph Olangi Onasambi, ce ministère se consacre à la prière et à la délivrance des âmes captives par les forces du mal.

[2] ELONGO LUKULUNGU, V., « La surchristianisation au quotidien à Kinshasa : une lecture de l’autre face de la religion », dans Congo-Afrique, 368 (octobre 2002), pp.463-479.

[3]Dans le processus de délivrance proposé par l’ olangisme, il est demandé aux adeptes de se délier du poids des traditions coutumières en coupant le cordon ombilical. Ces coutumes et traditions congolaises sont jugées et mises en procès par la doctrine du Ministère chrétien du combat spirituel.

[4] Le français n’est pas seulement la langue de communication entre les différents groupes religieux, mais aussi un vecteur de transmission des valeurs et des savoirs chrétiens. Fort est de constater qu’aujourd’hui, ces valeurs et ces savoirs chrétiens sont transmis à travers des langues locales.

[5] Certaines enquêtes signalent l’accroissement du nombre d’Églises évangélico-pentecôtiste (Églises du réveil) en Afrique subsaharienne, ainsi que de leurs adeptes. Cf. Pew Research Center (2015)