Afropéen : ce néologisme, que l’écrivaine Léonora Miano a contribué à populariser, valorise une identité nourrie de deux apports, qui conjuguent Afrique et Europe. La Faculté universitaire de Théologie protestante de Bruxelles (FUTP) vient de lancer sur ce thème, avec succès, un cursus d’étude.

L’avenir de l’Europe passe-t-il par l’Afropéanité ?

Alors qu’Emmanuel Todd, démographe, prophétise sur la « défaite de l’Occident » dans un ouvrage documenté, dense et polémique (Gallimard, 2024), l’Europe vieillissante fait face à un destin incertain, prise en tenaille entre le choc du réel que constitue la guerre en Ukraine, et la tentation populiste, qui prône repli sur soi et hostilité aux migrants.

La réalité, cependant, finit toujours par l’emporter. Ce reality check, c’est une Europe politique fatiguée, et un continent qui ne fait plus suffisamment d’enfants pour renouveler sa population, tandis que les migrations venues d’Afrique, poumon démographique de la planète, contribuent à rajeunir ses rangs, enrichir sa créativité, nourrir son dynamisme. Tout cela, bien souvent, dans l’ingratitude d’élites oligarchiques du Vieux Continent de plus en plus tentées par l’imaginaire des barricades. Frontex forever ? No pasaran…?

La citadelle Europe, réduite à la défensive, a-t-elle un avenir si elle persiste à fermer les frontières, physiques ou mentales, qu’elle érige autour de ses privilèges ?

A moins d’un policier par mètre carré, le Vieux Continent continuera à accueillir davantage de migrantes et migrants venus des Suds, notamment du Sahel, particulièrement menacé par les effets du dérèglement climatique. Parmi les arrivants, beaucoup de chrétiennes et chrétiens, rattachés tantôt au catholicisme (en déclin), aux protestantismes (surtout évangéliques) et aux Églises postcoloniales (en plein boom). « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », dit l’Évangile. Chiche ?

Le présent et l’avenir du continent européen passent par l’Afrique. Non seulement par les migrantes et migrants, mais aussi par les Afropéens. Ces derniers sont nés en Europe, ou y ont grandi et construit leur parcours de vie. Souvent francophones, enracinés en France, Belgique, Suisse etc., leurs rangs ne cessent de croître.

Mais qui sont ces citoyennes et citoyens afropéens ?

Marqués par un double référentiel identitaire, l’Europe, où ils ont grandi, et l’Afrique, qui porte leur ascendance, les Afropéennes et Afropéens sont souvent invisibilisés, y compris dans les institutions chrétiennes. Ou ramenés à quelques clichés. Ils n’en construisent pas moins l’avenir, s’inspirant parfois des figures de foi de Joseph et Ruth, dans la Bible, au nom d’une espérance double. L’adoption, et un nouveau monde. Pour construire un avenir ensemble.

C’est sur cette réalité afropéenne, magnifiquement mise en lumière par l’écrivaine Léonora Miano (1), qu’a choisi de se pencher le laboratoire CARES, dépendant de la Faculté Universitaire de Théologie Protestante de Bruxelles (Belgique). Sur le site de CARES, on peut lire la mise en perspective suivante (2) : « Le concept d’Afropéanité voit le jour dans des milieux artistiques vers la fin des années 1980. La décennie suivante, le groupe belge Zap Mama, dans son premier album Adventures in Afropea, dessine l’afropéanité comme un territoire fictionnel qui représenterait l’influence des cultures africaines sur la sensibilité européenne (Miano 2020 : 47). Peu à peu, des artistes, écrivains, intellectuels afro-descendants vont s’approprier le concept pour décrire l’expérience racialisée d’un vécu en situation de minorité et dire la présence noire dans la société occidentale post-industrielle comme une réalité souvent invisibilisée ». 

Un héritage culturel africain assumé

Mais quelle est cette expérience afropéenne ? Comment la définir ? Le site du laboratoire CARES nous donne toutes les clefs de compréhension. « Est dite afropéenne une personne d’ascendance subsaharienne, née ou ayant grandi en Europe, dépositaire à la fois de son vécu européen mais aussi d’un héritage culturel africain qu’elle entend assumer. L’Afropéen émerge dans un univers mondialisé marqué par les processus d’hybridation et de métissage, « tiraillé entre les traditions héritées et les orientations politiques culturelles et sociales que lui imposent le devoir d’intégration dans le pays d’accueil ».

Sur la base de ce référentiel mixte, la Faculté universitaire de Théologie protestante (FUTP) de Bruxelles, sous la houlette éclairée du doyen Bernard Coyault et de la coordinatrice Christel Zogning Meli, a mis en place, pour l’année universitaire 2023-24, une première mondiale : un certificat universitaire d’études afropéennes, appuyé sur l’expertise des sciences sociales. Au vu des inscriptions, cette initiative académique, à Bruxelles, s’est avérée un grand succès. Les cours font salle comble (en présentiel !) et la demande est telle que les sessions 2024-25 devront prévoir des lieux d’accueil plus vastes. Que Bernard Coyault (doyen) et Christel Zogning Meli (coordinatrice) soient remerciés pour leur audace qui a porté ses fruits. Il est toujours temps de s’inscrire pour l’année prochaine ! 

(1) Léonora Miano, Afropea. Utopie post-occidentale et post-raciste, Paris, Grasset, 2020.

(2) Certificat universitaire d’études afropéennes, site : https://caresbrussels.org/certificat-universitaire/