Le terme signifie alors le lien entre des personnes ayant une communauté d’intérêts ou de responsabilités, une dépendance réciproque. Cette compréhension semble contredire l’idéal d’autonomie que met en avant par exemple le libéralisme économique : je suis tout seul, je consomme tout seul, je décide seul de ma vie en concurrence avec les autres, je ne dois pas dépendre des autres. Mais la dépendance semble aussi contradictoire avec l’idée d’émancipation que fait émerger le mouvement ouvrier au XIXe siècle : l’ambition de s’affranchir d’un lien, d’une entrave, d’une domination ou d’un préjugé. Il s’agit alors de se libérer des diktats traditionnels- l’Église, le châtelain, le patron – et de communautés « naturelles » non choisies : la famille, la paroisse, la corporation, la patrie… La Bible nous raconte sans cesse des histoires de personnes qui semblent vouloir s’arracher à des solidarités non choisies, avec plus ou moins de succès : d’Abraham qui quitte sa famille au fils prodigue qui y retourne pour ne pas mourir de faim.

Choisir ses liens

Pourtant, au XIXe siècle, après avoir été repris dans la mécanique – à propos de pièces d’un engrenage dont le fonctionnement est lié -, le terme solidarité se développe dans le débat politique et social et prend un sens positif. En même temps qu’ils cherchent à échapper aux dominations traditionnelles, les ouvriers veulent se libérer de l’ignorance et de conditions de vie indignes (des logements trop petits, la maladie, l’alcoolisme) et pour cela s’allient aux autres ouvriers. Le mouvement ouvrier va développer sa solidarité avec les syndicats, les Bourses du travail, l’éducation populaire, les mutuelles, les coopératives de production et de consommation… C’est sans doute à ce moment-là que le terme solidarité prend le sens positif qu’il a aujourd’hui : si nous avons besoin des autres pour améliorer notre condition, cela passe aussi par l’amélioration de celle de l’autre dans un esprit égalitaire – et non condescendant et reproduisant les inégalités comme dans la charité par les plus riches – par un lien et des personnes choisies, en tout cas partageant un même projet partagé. Cette aspiration est ancestrale. En Marc 3, 31-35, les Évangiles nous racontent cela quand la mère et les frères de Jésus l’appellent et qu’il répond « Qui est ma mère, et qui sont mes frères ? Puis jetant les regards sur ceux qui étaient assis tout autour de lui : Voici, dit-il, ma mère et mes frères. Car, quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma sœur, et ma mère ». La communauté qui fait la même volonté se substitue à une communauté obligée par les liens de […]