« Nous allons désormais radicalement changer de paradigme ! » Celui qui s’exprime ainsi est le directeur pour la stratégie d’une des plus grandes missions protestantes contemporaines. Il s’adresse à l’ensemble des collaborateurs et partenaires que compte cette mission en Europe de l’Ouest. Nous sommes en 1998 et nous assistons, médusés, à un cours de marketing teinté de logique militaire, soucieux d’uniformiser les pratiques d’évangélisation au niveau mondial et obsédé par des questions de rentabilité. 1998, c’est la fin d’une décennie qui a vu les missions réorienter leurs ressources humaines vers l’ancien bloc de l’Est au motif inavouable qu’il y a plus de convertis par dollar investi en Russie ou en Ukraine qu’en France ou en Italie ! La logique paraît imparable, mais est-elle théologiquement défendable ? Nous ne le pensons pas.

Réduire la mission à une méthode et le lieu de son exercice à un ratio satisfait peut-être les stratèges, mais trahit les desseins de Celui qui équipe et qui envoie. Ou, pour le dire autrement, l’Église – la mission en fait partie – n’est décidément pas une entreprise… comme les autres !

Des outils à ne pas négliger

Je ne méconnais certes pas l’utilité des apports du monde de l’entreprise à la bonne organisation de l’Église. Avoir des notions de conduite du changement, s’intéresser à la médiation et à la gestion des conflits, savoir élaborer un projet d’Église ou une VMV (vision – mission – valeur), ne pas écarter la possibilité de faire un audit de la communauté, tirer le meilleur parti de la littérature sur le leadership ou le coaching… n’est pas à négliger. Je connais bien des situations où le recours à ces outils ou la mise en œuvre de ces méthodes ont permis d’améliorer un fonctionnement approximatif, d’identifier des causes de dysfonctionnement, voire de débloquer des situations compromises. Ce que je mets en cause, ce ne sont donc pas les outils ou les méthodes en eux-mêmes, mais le manque d’adaptation et de précaution dans leur utilisation. En effet, ceux qui sont habitués à y avoir recours dans le monde professionnel tendent à confondre, pas toujours consciemment, l’Église avec une entreprise, alors que leurs finalités sont différentes. C’est ainsi que, lors d’un conflit entre un pasteur et un conseil d’Église, un groupe de médiation a cru bon de traiter en priorité la dimension fonctionnelle du problème – la mise en cause des fonctions de chacun – et de remettre à plus tard la dimension relationnelle – les accusations portées et les blessures engendrées. Si cela peut s’entendre quand il s’agit d’une entreprise qui doit impérativement fournir les prestations commandées ou les produits attendus, c’est une erreur quand il s’agit d’une […]