Pis que tête de pioche ? Une langue de vipère, une intraitable au caractère cassant, capable en public d’humilier, de faire partir en pleurant les personnalités les mieux charpentées. La réputation de Martine Aubry, vraiment… Mais justement, commençons par là.
La maire de Lille
Dans l’interview qu’elle a donnée, voici quelques jours, à nos confrères du Monde, cette femme que les habitants de Lille ont élue et réélue, d’abord comme adjointe en 1995, puis maire à part entière en 2001, 2008, 2014 et 2020, dit l’essentiel : « Quand une femme a de l’autorité, elle est autoritaire… J’ai une exigence de rigueur, de morale, c’est bien normal. Je m’entends parfaitement bien avec mon équipe. » Il est des évidences à rappeler. Verser dans des imprécations mutuelles et réciproques, un trait d’époque dont nous payons tous le prix, n’entraîne qu’à la victoire des sectaires et des extrémistes. Les hommes ne sont pas tous des sauvages assoiffés de violence. Les femmes ne sont pas toutes des castratrices. Et si, pour combattre les inégalités, celles-ci furent longtemps, même en politique, obligées de choisir entre deux rôles, celle d’une élégante aux yeux de biche ou celle de la maman qui couve, Martine Aubry, que cela défrise les grincheux fait plaisir, a choisi d’assumer ses compétences, d’asseoir ses décisions sur une réflexion préalablement concertée, mûrie, solide, et de lutter sans ménagement contre des idées qui lui paraissaient (et lui paraissent encore) néfastes ou fausses.
En quoi se distingue-t-elle d’un autre élu local ? En rien. Si ce n’est qu’elle est une femme. Ayant vu de près de quelle façon Edith Cresson, première femme à diriger un gouvernement, s’était fait écharper, elle a tenu, ne s’est pas laissé faire. Elle a rendu coup pour coup.
L’accent sur les politiques de solidarité
Le souvenir nous revient du printemps 2010. En ce temps-là, tout à la fois maire de Lille et Premier secrétaire du Parti Socialiste, Martine Aubry faisait la promotion de ce qu’elle appelait, malgré son aversion perceptible pour un anglicisme, le « Care ». Un temps révolu dira-t-on : l’idée consistait à soutenir des politiques protectrices des plus faibles, tout en stimulant l’activité. Social-démocrate ? A n’en pas douter. Son père, Jacques Delors, en catholique de gauche, avait défendu la logique du contrat. Sa fille a certes été fidèle à cette inclination, mais en disciple de Pierre Mauroy – lui-même catholique – et de Lionel Jospin – lui-même protestant – Martine Aubry s’est employée à soutenir une logique de négociation.
Peu de gens le disent, mais elle fut la principale rédactrice des lois Auroux, votées durant l’année 1982. Ces textes avaient pour vocation de faire naître un dialogue permanent, responsable, entre les acteurs sociaux, soutenu par l’Etat. Ce trépied, fondé par les représentants des patrons, les représentants des salariés et le gouvernement, définit le projet social-démocrate.
A chaque étape de son parcours, Martine Aubry s’est efforcée de le mettre en œuvre. Et si la loi réduisant le temps de travail légal à 35 heures a été imposée plutôt que véritablement négociée (encore qu’une telle analyse mériterait mille nuances), l’histoire dira sans doute un jour qu’elle doit plus aux circonstances de politique générale qu’au tempérament prétendument brutal de la ministre qui l’a fait voter. D’ailleurs, chacun le sait depuis longtemps, c’est Dominique Strauss-Khan qui convainquit Lionel Jospin de concevoir cette mesure. Alors…
Un soutien constant en faveur de la culture
A Lille, Martine Aubry n’a pas manqué de concilier l’activité économique et la justice sociale. Mais, ce qu’elle ne dit pas assez, c’est le soutien constant qu’elle a porté en faveur de la culture. Non comme un agrément, non comme un ornement, mais comme un vecteur de la vie collective, comme une affirmation généreuse, un certain rapport au monde. Plutôt que d’en faire étalage avec des grands mots vidés de sens, Martine Aubry s’est efforcée de faire vivre la culture avec un esprit pratique dont il est permis de penser qu’il est un gage d’efficacité. Contre vents et marées.
Dire ce que l’on croit, faire ce que l’on dit, ne pas dévier, ne pas piquer dans la caisse commune… Quand nos concitoyens dénigrent leurs élus, Martine Aubry peut faire figure de référence. Pour demain ?