Sa jeunesse est une chance. Habile, rapide et fluide, Emmanuel Macron s’est montré tel qu’en lui-même, dénué de toute lassitude. Aura-t-il convaincu de la justesse de sa réforme ?
Plusieurs paramètres seront pris en compte par les instituts de sondage à propos du projet de retraites. Mais d’ores et déjà se perçoit, plus qu’une déception, plus que de la colère ou de l’enthousiasme, une certaine forme d’incrédulité, comme si le Président laissait nos concitoyens dubitatifs. L’historien Loris Chavanette en explique les raisons.
« Bien souvent, les commentateurs associent les qualificatifs « jupitériens » et « monarchiques » de manière interchangeable, observe cet expert du discours politique. Or, ce sont deux positions totalement différentes. Les rois n’avaient pas besoin de parler pour s’imposer parce qu’ils incarnaient un pouvoir transmis depuis des siècles, tandis que les Présidents ont le devoir de s’exprimer pour justifier qu’ils disposent bel et bien d’une autorité. Mais le surgissement de leur parole jupitérienne est aujourd’hui mal considéré. La situation des chefs d’Etat se trouve donc intenable : on exige qu’ils parlent et dès qu’ils ouvrent la bouche on leur reproche d’abuser de leur pouvoir. »
Le général de Gaulle usait d’une culture des plus classiques, on pourrait même dire antique. « Il a le souci d’être compris de tous, mais aussi d’élever ses interlocuteurs et ceux qui l’écoutent, à la compréhension des situations et à la hauteur des enjeux, soulignait le philosophe Alain Larcan dans son ouvrage « De Gaulle Inventaire » (Bartillat, 980 p. 28 €). Sa parfaite maîtrise de langue lui donne l’aisance naturelle (firma facilitas) même si elle nécessite beaucoup de travail. » On ressasse que cette tradition s’est perdue. Pas si sûr. Oh, bien entendu, Nicolas Sarkozy et François Hollande ont, chacun suivant son style, démontré le peu de cas qu’ils faisaient de la rhétorique et de la littérature pour s’adresser aux Français. Mais l’actuel chef de l’Etat possède une profondeur intellectuelle que nul ne peut lui contester. Très littéraire, il parle un très bon français. D’où vient, dès lors, l’impression qu’il n’en use qu’avec modération, voire avec maladresse ?
« Comme je l’ai dit, l’incarnation verticale du pouvoir est aujourd’hui perçue comme un manque d’humilité, note Loris Chavanette. Le président, conscient de ce danger, se met en scène par des gestes ostensiblement démocratiques, des poses triviales. On l’a vu, mercredi, se taper la tête avec les mains pour signifier que les gens sont fous. Cette recherche d’un équilibre est chez lui permanente. Elle reflète son tempérament. »
Depuis longtemps nos concitoyens sentent qu’Emmanuel Macron, charmeur plus encore que séducteur, aime avant tout être aimé. On dira qu’il n’y a là rien d’anormal ou d’inhumain. Sauf qu’en période de crise aiguë, cela peut jouer des tours pendables.
« Depuis le mois de janvier, notre pays traverse une crise sociale, qui s’ajoute à la crise internationale, aux turbulences économiques, et l’intervention télévisée de ce mardi n’aura sans doute pas rassuré nos concitoyens, estime encore Loris Chavanette. Alors que Machiavel dit que l’homme d’Etat doit être en même temps un renard et un lion, le premier pour endormir ses adversaires, le second pour les tuer, notre Président de la République passe de l’un à l’autre sans articulation. C’est ce qui lui fait perdre sa clarté, donne le sentiment qu’il n’est jamais nulle part. »
L’historien voit dans la réforme actuellement proposée l’exemple de ce dysfonctionnement. Le président Macron a nettement fait comprendre que ce projet relevait de sa propre initiative, mais il a laissé sa Première ministre en première ligne, dans une tactique de ruse qui ne pouvait pas être comprise.
« Durant son intervention télévisée, il a cherché à reprendre l’initiative, déployant des trésors de pédagogie, multipliant les arguments favorables à la réforme, observe Loris Chavanette. Mais au lieu de clarifier la situation, cela n’a servi qu’à rendre encore plus confuse sa démarche. »
Dans son livre « Le désastre de Pavie », Jean Giono remarque : « Il y a deux moteurs de la foule : le premier c’est la faim et le deuxième c’est la représentation théâtrale. » Dans quelques jours, nous saurons si l’alliance de la colère populaire et de l’angoisse face à l’inflation s’estompera. Si tel n’est pas le cas, le Président devra hausser son niveau de jeu.
A lire : « Danton et Robespierre », par Loris Chavanette