Le but de la médecine moderne est de lutter jusqu’au bout contre la maladie et de prolonger la vie coûte que coûte. Les derniers jours des malades se déroulent dans un contexte d’angoisse où tout l’espace est occupé par la réanimation et les traitements. À l’inverse, les soignants qui pratiquent les soins palliatifs considèrent la mort comme un processus naturel. Évitant les investigations et les traitements déraisonnables, ils cherchent avant tout à soulager la personne atteinte de maladie incurable pour lui permettre d’être acteur de la fin de sa vie.
Et lorsque la douleur et les symptômes sont maîtrisés, cette personne trouve souvent dans « une exaltation de son appétence relationnelle », pour reprendre les mots de Michel de M’Uzan, et dans son désir de vie elle peut entraîner l’équipe soignante bien loin de son rôle habituel. Voici quelques histoires qui ont marqué mon expérience professionnelle.
Mme S. était une femme très austère, veuve d’un colonel. Hospitalisée pour un cancer digestif et consciente de son état, elle fut soudain animée d’un désir de gueuletons. Elle demandait à aller manger dans un restaurant étoilé, où elle choisissait un menu gastronomique accompagné de grands crus, qu’elle pouvait à peine toucher. Elle revenait le soir malade et nauséeuse, restait deux jours au lit, et à peine remise repartait vers un nouveau restaurant. La discussion fut vive en équipe : cette conduite déraisonnable aggravait son état de santé. Finalement, on la laissa faire car Mme S. disait « qu’elle se sentait enfin vivante, comme elle ne l’avait jamais été ».
M. B. présentait une tumeur cérébrale très évoluée. Il vivait depuis 5 ans maritalement avec sa compagne. Sentant sa fin proche, il décida de se marier. […]