Le témoignage de Thierry Le Gall est à retrouver dans « Un avenir, une espérance » (Ed. du Cerf, 2022).
Comment êtes-vous devenu aumônier des parlementaires ?
Cette vocation fait suite à une réorientation pastorale avec mon épouse. Cette pensée a commencé à s’installer durablement dans mon esprit et mon cœur en juillet 2012, lors d’une retraite spirituelle. Je venais de perdre un de nos fils. Lors d’un temps d’écoute de la voix de Dieu, avec mon épouse, nous avons reçu le besoin d’épauler spirituellement les parlementaires. Nous n’y avions jamais pensé auparavant. Depuis, la flamme est toujours là. A l’époque, j’étais déjà engagé auprès du Conseil national évangélique de France (Cnef), après avoir travaillé 20 ans en tant que responsable de la communication chez Ferrero et avoir été pasteur en Normandie et en Bretagne. J’ai débuté ma mission parlementaire en janvier 2016. Le monde politique n’était pas un monde que je connaissais. A cette époque, je n’avais pas fait d’études en sciences politiques. Je n’y avais aucun réseau.
Quel est votre rôle ?
Il s’agit d’une mission d’aumônerie classique : j’accompagne pastoralement les chrétiens ou toutes personnes en recherche spirituelle. Par ailleurs, je réponds aux missions des parlementaires sur lesquelles les protestants sont consultés : la bioéthique, la laïcité, le séparatisme, l’éducation, la famille, etc. Dans un premier temps, j’établis des ponts. Comme je ne suis pas lobbyiste, je connecte les parlementaires avec des experts de nos milieux, des sociologues, des théologiens ou des praticiens comme les Associations familiales protestantes (AFP) afin qu’une réflexion de fond puisse s’établir.
Comment être aumônier de tous les parlementaires quand on a soi-même ses opinions politiques ?
A l’égal des aumôniers des prisons ou de l’armée, nous devons être à disposition de toute personne quelles que soit ses croyances et opinions. J’ai été aumônier de l’administration pénitentiaire pendant cinq ans. Lorsque je visitais les détenus, je ne faisais pas de sélection en fonction des crimes ou des délits qu’avaient commis les détenus. J’étais le pasteur de tous les détenus. Aujourd’hui, je visite chaque parlementaire quelle que soit son orientation politique, celle-ci n’étant pas éliminatoire dans ma démarche pastorale.
Vous avez pu assister ces dernières années à de nombreux débats comme sur la bioéthique ou le séparatisme qui n’allaient pas toujours dans le sens des protestants…
Oui, il faut parfois faire preuve de diplomatie et de capacité d’écoute. Encore cette semaine, j’ai eu plusieurs entretiens avec des sénateurs et des députés avec des positions radicalement opposées aux miennes. Ce qui fait la qualité de la laïcité dans notre pays, c’est l’ouverture aux débats. Cela ne veut pas dire que nous sommes toujours d’accord mais j’apprécie vraiment le respect qui caractérise les échanges avec les parlementaires. Même en cas de profond désaccord, il y a toujours cette capacité à continuer à s’écouter, et à respecter l’autre dans ses opinions.
Parmi les nombreux débats auxquels vous avez pu assister depuis 2016, quels sont ceux qui vous ont le plus secoué ou enrichi ?
Dès mon arrivée lors des discussions sur la loi séparatisme, j’ai entendu : vous les protestants, on n’a pas de problème avec vous mais acceptez de grignoter un peu de vos libertés au nom de la sécurité intérieure du pays et de la lutte contre l’islam politique. Ce propos était assez récurrent durant tout le fil des discussions. C’était difficile à vivre car cela signifiait que dès le départ le débat était clos. Que même si nous nous exprimions, les choses étaient déjà jouées d’avance. Le débat a eu lieu car nous sommes dans une démocratie mais la volonté politique était étanche, fermée. Cela fut la même chose lors de la loi bioéthique pour laquelle plusieurs experts protestants ont été auditionnés. Nous avons signalé l’impact que ces lois pourraient avoir sur les plus démunis d’entre nous et le risque notamment de marchandisation du corps des femmes. Nous avons été entendus mais ils nous a semblé qu’encore une fois le gouvernement était dans une volonté ferme de faire bouger les codes de l’éthique française pour aller vers une forme de modernité. Par contre, nous avons eu des échanges constructifs lors de la loi visant à condamner les thérapies de conversion des homosexuels. Au cours des échanges qui ont duré deux ans, nous avons progressé dans notre compréhension mutuelle du monde et avons pu casser des clichés dans lesquels les protestants évangéliques étaient enfermés. Nous avons fini par soutenir cette proposition de loi qui a été votée à l’unanimité. Notre juriste a pu faire entendre le maintien du droit pour les ministres du culte d’accompagner des personnes en questionnement sur leur identité sexuelle ou leur genre.
Comment témoignez-vous du monde évangélique aux politiques parfois anti-cléricaux ?
Pour ce service, avant d’être évangélique, je suis d’abord pasteur, je suis d’abord chrétien. Toutes mes rencontres se passent très bien avec des catholiques, les luthéro-réformés et les agnostiques. Il est vrai que j’ai un gros travail de déminage à réaliser au préalable dans de nombreux entretiens avec des personnes athées ou anticléricales parce que l’image de l’évangélisme mondial est très dégradée. Je dois donc d’abord expliquer que la culture protestante évangélique française n’a pas grand-chose à voir avec certains courants religieux en Amérique latine ou du Nord. Une fois que ce postulat est établi, on peut enfin entrer dans une conversation intéressante.
Comme vous l’expliquez, au sein de l’Assemblée, il y a autant de députés que de visions de laïcité…
Exactement. C’est aussi le cas chez les maires des communes. Je réalise au quotidien un travail de pédagogie républicaine en rappelant que la laïcité est celle des textes, qu’il n’y en a pas d’autres. Certains députés ou sénateurs considèrent que la religion ne doit s’exercer que dans l’intimité, comme si c’était quelque chose d’explosif à l’extérieur, dans l’espace public. Il est compliqué pour un député ou un sénateur d’exprimer sa foi car en France cela est souvent considéré comme un marqueur identitaire ou une preuve de faiblesse intellectuelle. Il y a un vrai malaise en France vis-à-vis de l’identité religieuse. Je ne parle pas ici des politiques qui ont un discours conquérant ou politique. Dans cette situation, la plus grande prudence s’impose. La spiritualité fait partie de l’humain. Si un humain ne peut plus exprimer cette partie holistique qui est en lui, parce que cela ne se fait pas, il y a des vraies questions à se poser sur les valeurs de notre pays.