Sous le soleil d’Orient, le roulis de la guerre depuis des lustres martèle ses tourments. La poussière au sang se mêle. On ne sait plus sous les ruines dénombrer les cadavres, les otages ou les cris sauvages des blessés. Qui va là ? Qui disparaît ? C’est de l’humanité brisée. Les Romains nous avait cependant prévenus : « si vis pacem, para bellum ». Alors ? Alors, à l’instant même où l’Etat d’Israël se lance dans une guerre éclair contre l’Etat des mollahs, comment ne pas dire, un peu, beaucoup, de notre solidarité profonde avec une démocratie que nous aimons ?
Cela choque peut-être, parce que depuis quelques mois, Tsahal apporte la terreur à Gaza, jusque dans des recoins d’innocence, au mépris des lois de la guerre. Cela choque peut-être mais c’est ainsi. Malgré le flot d’insultes qu’ils reçoivent, des menaces qui s’abattent sur eux, des Israéliens condamnent la politique de leur Premier ministre, quand d’autres habitants de la région voient leur parole interdite.
Juifs et protestants, une sensibilité historique ?
Ah, oui, c’est d’affinité que l’on parle. C’est par une sensibilité que l’on se rapproche. Un coin de flamme dans la nuit, le désir de se tenir au chaud loin des fusils. Juifs et protestants, d’où vient-il, cet élan de solidarité comme instinctif ? On parle souvent de la Seconde Guerre mondiale, en rebond lointain de la guerre des camisards et des galères, on évoque la route commune vers la république, et l’on pioche aussi chez Calvin les raisons théologiques, des paragraphes entiers qui séparent le natif de Noyon de Luther et de ses épigones. Ah oui, tout cela, nous pouvons le dire, est bien vrai. Vrai de vrai. Tout cela ne saurait s’oublier de nos jours.
Il n’est pas question d’opposer, de distinguer, de laisser de côté ces français musulmans, dont les solidarités de cœur ont bien le droit de vivre et de s’exprimer – dès lors qu’elles sont amicales. D’ailleurs, ne dit-on pas que Pierre Bayle, symbole d’un protestantisme précurseur des Lumières, avait avec le Coran plus que des connivences ? Il n’est donc pas question, répétons-le, de séparer, pis, de rejeter. La France est le pays qui nous accueille, tous autant que nous sommes, qui nous ouvre sa porte comme son cœur.
Il est simplement question de dire ici, pourquoi, comment, lorsqu’à la table d’un dîner, d’un déjeuner, d’une conversation professionnelle parfois, la gorge nous serre quand un convive médit sur Israël. Non sur Benyamin Netanyahou, figure abjecte du cynisme en politique, dont nous connaissons, chez nous aussi quelques spécimens. Non sur la politique de l’actuel gouvernement israélien. Non. Sur Israël.
A chaque fois c’est un pincement. Parfois même une colère qui monte. On voudrait tout aussitôt citer l’Arabie Saoudite, la Syrie, d’autres pays de la région, dont les populations souffrent mille maux sous le joug de systèmes de dictatures, et chaque fois l’on voudrait dire que c’est aussi parce qu’Israël a été pensé comme une démocratie qu’il a été rejeté par ses voisins dès sa naissance. Et puis, lâcheté des jours ordinaires, il nous vient quelque fatigue, une lassitude ; on navigue à vue, laisse couler sur la rivière des conversations la tristesse, la douleur et la mélancolie que nous inspirent les sinistres raisonnements de nos interlocuteurs. Israël, pierre angulaire des amitiés contemporaines ? On le ressent de la sorte. Et nous ne voulons pas laisser seuls nos frères juifs de France.
L’enfance : les souvenirs d’espérance en l’avenir
Dans le quartier République à Paris, les rues, le métro, portent des noms de résistance. Au matin, jadis, le roulis des machines à coudre faisait vibrer les parquets. C’était la paix des travailleurs, et tout le monde en yiddish agençait du tissu. Le petit garçon qui partait pour l’école avait des copains rugueux mais fraternels, qui savaient l’incomplétude jusque dans leur cœur, puisqu’à la maison, la famille était une dentelle.
Un peu plus tard, adolescents rieurs, ces mêmes copains partiraient le cœur joyeux vers un pays lointain, passer quelques semaines dans un lieu communautaire aussi démocratique et libertaire que possible, un espace de travail et de joie qui s’appelait « Kibboutz ». Ils avaient de l’espérance en l’avenir malgré les douleurs du passé. Le désir de vivre une expérience en Israël, de découvrir au loin ce qui les rattachaient, bien au-delà de la Shoah, à cette Loi dont le poids pouvait leur être lourd à porter mais qui les réunissait. De retour, ils partageaient dans les salles de classe du lycée, des récits souvent drôles nimbés de sensualité – les oranges, le soleil, et les étreintes avaient droit de cité là-bas. Sans se vanter, juste joyeux, fraternels, plein de bonté.
Certains vivent aujourd’hui dans la peur. La peur d’être agressé dans leur vie quotidienne, en France. La peur que l’Iran des Mollahs ne détruise à jamais ce jeune pays démocratique dont les lumières leur donnaient à croire, une fois, pour toutes, en l’avenir. On n’oublie pas ces copains-là.
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