Jeudi 6 décembre, le chef de l’Etat s’est exprimé. Justifiant, pour la première fois, son choix de dissoudre l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron, reportant la responsabilité du blocage institutionnel sur les députés, a semblé faire comme si les élus ne représentaient qu’eux-mêmes, alors qu’ils ont été mandatés par nos concitoyens. Jeu dangereux, qui consiste à dénigrer l’adversaire ; jeu périlleux quand l’impopularité vous frappe ; enfin, jeu sans issue. A moins que… Loris Chavanette explore les pistes par lesquelles pourrait passer le Président pour sortir de l’ornière.

L’équilibre rompu

« Depuis 1962 et l’instauration de l’élection du président de la République au suffrage universel, on peut dire que nos institutions sont déséquilibrées, déclare-t-il. Un fil rouge court depuis la censure votée en 1962, contre le gouvernement dirigé par Georges Pompidou jusqu’à celle de la semaine dernière. Les députés contestent le pouvoir excessif du Président, tandis que celui-ci veut empêcher l’impuissance et l’instabilité du gouvernement d’assemblée. La question que je pose, à propos de la situation actuelle, est la suivante : qui a rompu l’équilibre ? Il faut s’interroger sur l’esprit de notre république. »

Beaucoup considèrent que la censure du gouvernement dirigé par Michel Barnier marque l’échec du parlementarisme. Loris Chavanette estime au contraire qu’elle reflète sa résurgence : « Nous voyons aujourd’hui les députés renouer avec leurs habitudes anciennes, celles qui régissaient la Troisième et la Quatrième République. Aussi bien les débats de fond, portant sur la façon de conduire ou pas des réformes, que des turpitudes tactiques et des divisions stériles. » Mais pour l’historien, la responsabilité politique du chef de l’Etat n’est pas assumée non plus. Le général de Gaulle aurait-il taillé par la Constitution un costume trop grand pour ses successeurs ? En 1969, comme toujours, il n’avait pas hésité à mettre en jeu son mandat, et bien sûr il a démissionné aussitôt le résultat du référendum connu. Depuis, nul président ne s’y est essayé.

« A l’approche des élections législatives de 1978, Valéry Giscard d’Estaing avait annoncé qu’en cas de victoire de la gauche, il se retrancherait au château de Rambouillet et laisserait gouverner la nouvelle majorité, signifiant par là qu’il ne démissionnerait pas, rappelle Loris Chavanette. Lorsqu’il a perdu les élections législatives, en 1986, François Mitterrand aurait dû démissionner. Depuis lors, nous sommes sortis de la logique des institutions. Bien sûr, on pourrait objecter que ces deux présidents n’étaient pas gaullistes et donc pas engagés par la pratique politique du Général. Mais Jacques Chirac, héritier présumé, n’a pas davantage imaginé quitter l’Elysée quand il a dissous l’Assemblée nationale et que sa majorité a perdu les élections législatives, en 1997. Même comportement au lendemain du référendum pour lequel il s’était vélocement engagé : moi ? Démissionner ? Jamais. »

Sortir de l’impasse et rétablir la stabilité politique

A la façon d’un Ponce Pilate, Emmanuel Macron paraît se laver les mains de ce qui se trame depuis quelques jours, passant très vite, au cours de son intervention télévisée, sur le poids considérable de son choix de dissoudre l’Assemblée nationale en juin dernier. Ce hiatus explique en grande partie le blocage dans lequel nous nous trouvons. « Le Président pourrait démissionner, il préfère jouer le garde-fou, remarque Loris Chavanette. Mais il est très affaibli, même dans le domaine des relations internationales : que ce soit face à la guerre en Ukraine et au Proche-Orient, face à la Commission européenne, il paraît débordé. La résurrection de Notre-Dame de Paris ne le ressuscitera pas lui. La meilleure manière d’être le garant des institutions de la Cinquième République, c’est de respecter leur esprit. Pour sortir de l’impasse et rétablir la stabilité politique dont nous avons tant besoin, pour renouer avec la grandeur gaullienne, Emmanuel Macron pourrait non pas démissionner maintenant, mais remettre son mandat en jeu lors d’élections législatives, de nouveau rendues possibles au printemps prochain. Ce serait une manière de sortir par le haut de la crise pour lui et d’entrer dans l’histoire non point comme le président de la dissolution ratée, mais celui de la démission réussie. »

L’urgence commande : la pression financière et la multiplication des guerres n’autorisent pas la procrastination.

« Notre pays traverse une crise très grave depuis plusieurs années, crise systémique et pernicieuse qui, certes, ne ressemble pas à une guerre, mais qui menace la sureté de l’Etat, la souveraineté nationale, estime enfin Loris Chavanette. Nos concitoyens, comme nos élus, ne semblent pas en avoir pris la mesure, semblables à des enfants gâtés, déresponsabilisés, qui croient que tout est acquis pour toujours : ils ne prendront conscience du péril qu’une fois l’incendie immaîtrisable. Nous n’avons plus d’hommes d’Etat depuis trop longtemps. Il y a de ces crises souterraines qui sont pareilles à l’iceberg sur lequel s’est fracassée la coque du Titanic : ce n’est pas parce qu’on ne les voit pas venir qu’elles ne sont pas immenses. Mais quelle sera notre liberté de manœuvre, quelle sera la responsabilité de nos politiques si la France est placée sous la responsabilité du FMI ? » Poser la question, c’est déjà répondre.

A lire : Loris Chavanette : « La tentation du désespoir », Plon, 256 p. 20,90 €