Il n’est pas facile tous les jours d’être un individu suivi et scruté par des centaines de milliers – voire millions de followers. YouTube en tête, ils sont nombreux ces réseaux sociaux à offrir depuis 15 ans une vitrine à de parfaits inconnus qui connaissent une popularité exponentielle en se mettant en scène ou en publiant des contenus variés : streaming de jeux vidéos, tests, divertissements, conseils mode, beauté, santé ou… rien. Les influenceurs les plus populaires, pour la plupart des moins de 25 ans, sont adulés par une communauté, davantage pour ce qu’ils sont – ou semblent être – que pour ce qu’ils font. Une réussite qui n’est pas sans receler des déboires qui deviennent de plus en plus fréquents.
Le premier ennemi de l’influenceur, c’est le troll ou le hater. Jaloux, voire haineux, ce membre de la communauté se cache derrière un pseudonyme pour critiquer, moquer, dénigrer, voire insulter celui ou celle qu’il suit, par pur plaisir. Entre déstabilisation et décrédibilisation, ce harceleur est généralement ignoré – car plus on répond au troll, plus il devient hargneux – mais il n’est pas toujours facile pour de jeunes influenceurs de garder toujours le recul nécessaire.
Les femmes en sont les principales victimes, à l’instar de Chloé Gervais. Alors qu’elle exprime son opinion à propos d’un compte qu’elle juge sexiste, elle fait elle-même l’objet d’un déferlement de commentaires critiques. Un cyber-harcèlement en règle, proche du lynchage. Cette pratique est punie par la loi, mais difficile à prouver, du fait de l’anonymat dont bénéficient les auteurs. En son temps, la Youtubeuse EnjoyPhoenix (passée des tutos beauté à l’ésotérisme) avait vécu pareilles mésaventures, à de nombreuses reprises, elle qui se définit, à 29 ans comme « la daronne des influenceuses ». Léna Situations, considérée comme « l’influenceuse française N°1 » est régulièrement en ligne de mire, notamment lors de ses apparitions publiques, avec des commentaires sexistes sur son physique, son comportement ou ses prises de position – qui virent parfois aux menaces, et reconnaît flirter souvent avec la dépression.
Influencer pour consommer
De l’influenceur à l’influvoleur, il n’y a parfois qu’un pas. C’est celui qu’ont franchi certains influenceurs attirés par les sirènes des partenariats sponsorisés. Moyennant une rémunération conséquente, ils testent des produits offerts par des marques. Cette technique marketing est autorisée, si l’émetteur mentionne la nature rémunérée du partenariat ou du placement de produits. Celle-ci est parfois omise, et souvent ces tests manquent totalement d’objectivité, quand ils ne frisent pas le ridicule. Certains influenceurs peu scrupuleux vont jusqu’à vendre des produits aux bénéfices fantaisistes ou promeuvent des méthodes illégales, comme celles pour s’enrichir rapidement à coups d’aubaines immobilières, de Bitcoins ou de NFT. Le rappeur Booba est parti en croisade dès 2022 contre ces escrocs des réseaux, qui s’appuient sur leur notoriété pour abuser les membres de leur communauté. Certes, avec l’excès qui le caractérise parfois, et qui lui a déjà valu la suppression de son compte Instagram en 2020, et de récentes plaintes pour cyber-harcèlement. Sans scrupules, d’anciens influenceurs lui reprochent désormais d’avoir vu fondre leurs revenus !
Sur TikTok, un nouveau phénomène est apparu, celui de la « désinfluence », relayé par le hashtag #deinfluencing, et qui encourage les auditeurs à ne plus se laisser berner par les créateurs de contenus qui poussent à la surconsommation. Toutefois, ce mouvement est soupçonné d’être lui aussi une nouvelle forme d’influence…
Nul n’est épargné par le burn-out
On pourrait railler la vacuité de certains comptes des stars éphémères de la téléréalité, ou la superficialité des sujets choisis, dont l’intérêt serait inversement proportionnel aux critiques qu’ils déchaînent ou tentations qu’ils suscitent. Pourtant, le burn-out menace même les influenceurs les plus sérieux ou respectés.
Lorsqu’on crée du contenu, la pression associée à la production régulière, voire effrénée de contenus, est constante. Le streamer Squeezie (18 millions d’abonnés sur YouTube), qui a fait l’objet d’un récent documentaire sur Amazon Prime (Merci Internet), est reconnu pour son sérieux et sa puissance de travail. Il y a quelques mois, il a décidé de mettre en pause sa chaîne YouTube, dans une ultime vidéo intitulée « La dernière avant un moment, merci », et ce pour une durée indéterminée.
Au printemps 2023, Mc Fly et Carlito avaient eux aussi annoncé une pause dans leur production de contenu humoristique, qui a finalement duré 7 mois. Ereintés par la course à l’audience, ils sont revenus avec un positionnement différent, car il est difficile de passer pour un ado, même attardé, quand on est un père de famille. Des choix diversement appréciés par leurs fans, qui ne suivent pas forcément ce tournant.
Quant au jeune kinésithérapeute Grégoire Gibault, alias Major Mouvement, ses vidéos sur la posture et les exercices de kiné ont connu un tel succès que l’activité de son cabinet s’en est trouvée totalement déstabilisée. Ses fans venaient consulter pour le rencontrer, par pour se faire soigner. L’année dernière, dans une confession intitulée « J’arrête la kiné », il annonçait stopper son activité libérale. Depuis, il conseille des marques, de manière beaucoup moins exposée, tout en continuant à produire des vidéos, mais sans aucun contact avec le public.
Une intimité étalée au grand jour
D’autres influenceurs confient en coulisses être dérangés par les rencontres inopinées avec des membres de leur communauté. Ces derniers les reconnaissent, les tutoient et leur parlent comme s’ils se connaissaient depuis toujours – d’ailleurs ils savent tout d’eux, alors que la réciproque est loin d’être vraie. Parfois, ces fans les suivent dans la rue ou les attendent devant chez eux, dans une relation malsaine entretenue par l’intimité créée par le partage de leur vie privée.
L’étalement naïf de leurs revenus ou de ce qu’ils possèdent attisent également les convoitises. En 2022, Coraline Balligand a été agressée chez elle, par des individus très bien renseignés par les photos et les informations qu’elle postait régulièrement. Une scène qu’elle a bien involontairement saisie, alors qu’elle se filmait, et un choc dont elle a eu du mal à se remettre, comme tous ceux qui ont été cambriolés par leurs propres fans.
Cette surexposition qu’ils ont voulue est aussi difficile à supporter que la peur de passer de mode, en étant doublé par un petit nouveau qui monte. Entre Dubaï et Bali, défilés de mode ou festivals, pas si simple, la prétendue belle vie des influenceurs !