J’ai eu 15 ans le 15 mai 1968. Est-ce l’adolescence, l’hésitation entre un non trop radical, intenable, et un oui qui trop embrasse, non moins intenable ? Il me revient de ces années des sentiments extrêmement contradictoires, et c’est pourquoi je voudrais commencer par des bouts de récits, au ras de mes souvenirs, en pointant déjà quelques unes des grandes oscillations que nous avons traversées. Il y a eu le roulis d’une politisation très particulière et d’une dépolitisation non moins propre à l’époque ; il y a aussi eu le tangage entre le sentiment d’un imaginaire radicalement délivré et celui d’un nouveau et terrible conformisme ; il y a eu le va et vient entre le rêve de quitter la société et l’impératif d’y revenir ensemble, etc. J’étais alors au lycée de Châtenay-Malabry, annexe mixte des lycées Marie Curie (filles) et Lakanal (garçons), dans la banlieue sud de Paris. Mon père, pasteur de l’Eglise Réformée, venait d’arriver à Robinson pour établir une paroisse protestante, en train de se constituer dans ce secteur plutôt aisé et intellectuel.

Il me faut ici m’arrêter un instant pour expliquer pourquoi cette paroisse de Robinson a été à ce point partie prenante de l’aventure que je vais raconter. Il faut dire que l’Eglise Réformée était, depuis plusieurs années, travaillée par une série d’oppositions : entre les institutions traditionnelles et les communautés marginales et « prophétiques », entre les paroisses classiques et des « centres de recherche » qui avaient essaimé dans les années 60, entre la priorité donnée à la cohésion interne de l’Eglise et celle donnée au […]