Vivre libre ? Une ambition folle autant qu’une espérance. Trouver les arrivées d’eau, les prises électriques pour les câbles, tout cela n’est rien car il faut encore convaincre les autorités de disposer les caravanes en toute légalité, quelques jours, quelques semaines, dans un espace qui ne jouxte pas les décharges publiques ou les échangeurs d’autoroutes. Il faut, pour affronter les vexations multiples, une foi qui déplace plus qu’un terrain vague.
L’époque a-t-elle jamais été favorable au nomadisme? On ne le jurerait pas. Mais qu’on les appelle gitans, bohémiens – comme le cristal…- ou bien tziganes, des hommes et des femmes inventent leur destinée par les chemins du monde. C’est pourquoi l’expression qui les définit le mieux, chargée de mystère et de tendresse, est « Gens du voyage ».
« Leur situation générale est aujourd’hui très compliquée, déplore Jean-Arnold de Clermont, président de l’Association protestante des Amis des tziganes (APATZI). Ils subissent encore et toujours la suspicion d’être des voleurs. Alors que les lois dites Louis Besson I et II, votées en 1999 et 2000, reconnaissaient le droit des individus à vivre en nomades, imposaient aux communes de plus de 5000 habitants de prévoir des emplacements pour les gens du voyage, les restrictions n’ont pas cessé de se multiplier. »
Chacun peut le deviner, un tiers des communes respecte l’injonction légale – parfois contre l’avis de leurs administrés -, un tiers la refuse, un tiers enfin cherche à gagner du temps, lâche du lest ou concède quelques installations, suivant la tactique du zig-zag hésitant.
Désastre humain
Mais la création des Etablissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI) a provoqué la réduction des maigres capacités d’accueil, ces regroupements n’étant pas soumis au même régime que les communes ordinaires. A cela s’ajoute l’application de l’Amende Forfaitaire Délictuelle pour toute occupation illicite d’un terrain. De quoi s’agit-il ? En gros, de la transposition dans le domaine pénal de la contravention classique. Emmanuel Macron en est l’inspirateur. Lors du « Beauvau de la sécurité », le 14 septembre 2020, il prétendait ainsi résoudre le problème de l’occupation illicite des terrains communaux en ces termes :
« Il suffit de lire la presse quotidienne régionale pour savoir que nos procédures sont trop longues, que quand on arrive avec la procédure, requérir le concours de la force publique c’est parfois déjà trop tard. Mais qu’on ne fait pas mal là où ça fait vraiment mal, c’est le porte-monnaie, pardon d’être trivial et direct. Et donc on va faire gagner du temps à beaucoup de monde, on va alléger la procédure, mais on va permettre aussi de répondre à des situations inacceptables sur le terrain en ayant la même approche par les amendes pénales forfaitaires pour l’occupation illicite par les gens du voyage des terrains. »
Le désastre humain ne s’est pas fait attendre.
« Les gens du voyage perçoivent cette mesure comme une humiliation mais aussi, bien entendu, comme une discrimination financière, observe Jean-Arnold de Clermont. Si la personne concernée ne paye pas après avoir reçu une amende, elle doit payer très vite mille euros. Or, les gens du voyage, par définition, n’ont pas d’adresse fixe et ne prennent pas toujours connaissance, en temps et en heure, des poursuites dont ils font l’objet, ce qui rend leur vie matérielle, déjà difficile, encore plus précaire… »
Le 26 octobre dernier, lors du dîner organisé par le Cercle Charles Gide, Emmanuel Macron fut interpelé à ce sujet François Clavairoly, mais aussi par Désiré Vermeersch, responsable de la Mission évangélique tzigane Vie et Lumière. Evidemment – c’est le charme du « En même temps»… – le président a promis d’ouvrir la discussion. Des négociations sont en cours avec le ministère de l’Intérieur. Le président de la commission consultative des gens du voyage, Dominique Raimbourg, a rencontré Gérald Darmanin voici quelques jours. Les associations chrétiennes se mobilisent également. Une lettre mise en ligne par l’Association protestante des Amis des Tziganes, en accord avec une quinzaine de partenaires, peut être signée par les Internautes souhaitant soutenir la cause des gens du voyage.
« Nous souhaitons la suspension de l’amende forfaitaire délictuelle pour les Gens du voyage, souligne Jean-Arnold de Clermont. Nous demandons que les structures intercommunales soient soumises au régime que prévoient les lois Besson tant que n’aura pas été repris sur le fond la situation des gens du voyage en France. »
Une image à l’instant vient à l’esprit. Sous les regards émus, les songes de la guitare et l’orange du feu dansaient dans le parc immense de Moulinsart. Au creux de la nuit, Tintin murmurait à Milou: « Quelle nostalgie dans cette musique ». C’était il y a plus de soixante ans ; une pie voleuse avait chipé les bijoux de la Castafiore, mais la gendarmerie soupçonnait la petite Miarka, ses parents qui fabriquaient des paniers, sa grand-mère diseuse de bonne aventure. Cela finira-t-il un jour ?