Si l’on parle facilement du burn-out au travail ou du burn-out maternel, nous sommes en droit de nous demander si nous ne vivons pas aussi un burn-out collectif.
Le terme anglo-saxon de burn-out est passé dans le langage courant depuis une bonne décennie. Même s’il reste encore parfois tabou de l’évoquer dans un contexte professionnel, chacun sait qu’il désigne communément un état de mal-être qui provient d’un dépassement de ses limites physiques, mentales et émotionnelles. Bien plus qu’un gros coup de fatigue…
Le burn-out, ou syndrome d’épuisement
Littéralement, la personne qui vit un burn-out se sent « consumée de l’intérieur », à bout de force et impuissante à dépasser cet état. Au travail, les arrêts maladie pour burn-out se comptent en mois – c’est dire l’implication de ce mal-être sur la santé physique et mentale. Trop souvent associé à de la faiblesse – ou une résistance insuffisante aux changements ou à la charge de travail, le burn-out fait néanmoins l’objet d’une vigilance soutenue de la part des autorités sanitaires. Il est d’ailleurs référencé parmi les risques psycho-sociaux (RPS), pour lesquels un employeur a l’obligation d’organiser des actions de prévention à l’égard de ses salariés. Par extension, on évoque le burn-out maternel quand on parle de ces femmes qui assument intensément deux vies – professionnelle et familiale – avec une charge mentale maximale, qui brûle toute leurs énergie.
Le burn-out est un phénomène qui tire son origine d’un contexte extérieur dysfonctionnant, mais qui est vécu intérieurement de manière délétère sur le plan de la santé somatique et psychologique. Hypertension, maladies cardio-vasculaires mais aussi dépression ou troubles anxieux peuvent s’installer à la faveur d’une situation de burn-out.
Quand on analyse de plus près ce syndrome, on dénombre trois caractéristiques communes, quel que soit le domaine dans lequel il s’exprime :
– L’épuisement
A la fois physique et psychologique, cet épuisement génère un fatigue d’autant plus inextinguible que le sommeil est fortement perturbé. Les week-ends ou vacances ne sont pas davantage récupérateurs – au contraire. Plus on est fatigué, et moins on récupère.
– Le cynisme
L’individu qui vit un burn-out entretient une pensée sans cesse critique, faite de ressentiments, propage des propos désabusés ou ironiques sur le caractère inéluctable de la situation. Rien ne trouve grâce à ses yeux et il balance entre sarcasme et colère.
– La diminution de la notion d’accomplissement
Le burn-out entame fortement les ressources de toute personne qui en est victime. Elle perd progressivement le plaisir de faire ce qui la satisfaisait auparavant, au travail comme à la maison. Ses échecs apparents sont vécus comme autant d’atteintes à son estime personnelle, et constituent la preuve de son peu de valeur.
Un sentiment collectif de burn-out
Mais si on y regarde de plus près, beaucoup de personnes autour de nous, finalement, véhiculent cette manière de penser et de faire, et de façon quasi quotidienne. Il suffit d’écouter les reportages et autres micro-trottoirs : « On en a marre », « On n’en peut plus », « Rien ne change… »… Et on retrouve les trois critères du burn-out, de manière généralisée.
L’épuisement est très présent. D’une part, parce que les troubles du sommeil augmentent constamment en France, notamment depuis la crise sanitaire. Selon l’Institut national du sommeil et de la vigilance, 1 Français sur 3 déclare « mal dormir ». 7 personnes sur 10 auraient un sommeil insuffisamment récupérateur. Si on y ajoute, d’autre part, la météo capricieuse, qui joue sur l’humeur, et des reprises récentes de COVID qui augmentent la fatigue, l’épuisement est croissant, de même qu’un sentiment de lassitude.
Le cynisme est partout. S’il s’exprime de façon créative et avec humour dans les parodies sur les réseaux sociaux, il est bien plus insidieux au quotidien. De la boulangère au postier, en passant par l’enseignant de vos enfants ou votre voisine de palier, tout le monde se plaint ou râle. C’est même devenu un sport national. De plus en plus de personnes sont « sans filtres », balançant sans ménagements leurs quatre vérités aux autres, sur-réagissant au quart de tour à la moindre anicroche ou ripostant à tout va s’ils se sentent attaqués. La susceptibilité est à son comble, tout comme l’accusation désabusée du système, des gouvernants, de l’administration, du patronat, de l’Europe… Certains assènent « qu’on ne peut plus rien dire », quand d ‘autres ne se privent pas de tirer à boulets rouges sur tout ce qui bouge, ou relaient des théories complotistes.
La frustration empêche l’épanouissement. L’inflation a obligé nombre de personnes à revoir leurs choix de vie, leurs achats ou les projets qui leur tenait à cœur, en reportant ou supprimant l’accès à ce qui leur faisait plaisir. Beaucoup de nos concitoyens se sentent également contraints par des normes et obligations qui restreignent leurs libertés ou déplacements. A ce titre, « l’Europe » est un bouc émissaire facile. Que dire du niveau d’insatisfaction du Parisien qui jure qu’il va quitter la Capitale plutôt que de subir les affres des JO ? Enfin, la reconnaissance au travail est une denrée de plus en plus rare. Quand elle s’assortit d’une perte du sens à ce que l’on fait, l’insatisfaction est quotidienne.
Un médecin qui se pencherait sur notre pays pourrait valablement établir un diagnostic de burn-out. La question est de savoir si le patient peut en sortir seul, ou s’il faut soigner la société toute entière. Mais cela, seul l’avenir nous le dira.