Texte de Christian Albecker, président de l’Uepal.

Les places de l’alsacien et de l’allemand dans notre région, et par conséquent dans notre Église, sont très différentes : le dialecte y résiste mieux que dans d’autres régions, comme langue du quotidien et élément constitutif de notre culture et de notre identité ; l’allemand reste la langue « noble » de moins en moins utilisée, celle de Luther et des chorals luthériens, qui touchent notre fibre religieuse intime, celle, pour beaucoup d’anciens, du catéchisme de leur enfance. A cause de l’histoire, ces racines très anciennes ont donné lieu à de profonds malentendus.

L’alsacien a été combattu et refoulé par la République française après la dernière guerre comme réminiscence de l’époque allemande, ce qui a été un contresens total, la pratique de l’alsacien ayant souvent constitué une forme de résistance à l’occupant nazi. Les Alsaciens ont ainsi intégré dans leur subconscient le fait que leur dialecte était un parler suspect, en tous cas grossier et peu « chic ». Il faut reconnaître que l’alsacien n’a jamais été utilisé pour le culte, sauf à une période récente, car trop peu digne pour parler à Dieu ! Quant à l’allemand, il est resté pendant longtemps la langue de Dieu – ne dit-on pas « Gott spricht Deutsch, aber Er lebt in Frankreich » ? -, mais faute de pratique courante, il est devenu peu à peu une forme de latin d’Église, inaccessible aux jeunes et synonyme d’un passé révolu.

Y a-t-il un avenir pour l’alsacien et pour l’allemand dans notre Église ?

Je ne crois guère que le dialecte ait une chance raisonnable d’être utilisé autrement en Église que pour des circonstances particulières. Qu’on ne voie aucun mépris dans cette remarque : l’alsacien est ma langue maternelle et reste pour moi la langue du cœur, tout à fait appropriée pour la vie quotidienne. Il faut le défendre à ce titre. Je salue par ailleurs la traduction du Nouveau Testament en alsacien, D’Güet Noochricht, par Raymond Matzen et Daniel Steiner, mais je doute qu’il devienne une version utilisée pour le culte ordinaire, à la fois parce qu’il n’y a pas un alsacien, mais des alsaciens très variables d’un terroir à l’autre, et parce que le culte doit être célébré dans la langue du plus grand nombre.

Je souligne que les rares prédications en alsacien que j’ai entendues m’ont paru remarquables, car notre dialecte ne connaît pas de concepts théologiques abstraits, et le prédicateur doit donc utiliser la langue de tous les jours pour faire passer le message, ce qui est un bon exercice d’humilité évangélique !

L’avenir de l’allemand à l’église me paraît plus compromis, s’il est pratiqué de manière défensive : les cultes réguliers en allemand ont presque partout disparu, car devenus synonymes de cultes pour les vieux, de moins en moins nombreux. Il garde par contre toutes ses chances dans une perspective « offensive », ou au moins dynamique, comme ouverture à la langue du pays voisin.

Ainsi, il est important que l’UEPAL développe ses relations avec les Églises sœurs de Bade, du Palatinat et de Suisse, sous forme de jumelages entre paroisses ou d’activités transfrontalières, pour favoriser ce bilinguisme vivant. Le grand succès du récent Chorfest transfrontalier a montré combien ces rencontres sont enrichissantes, en particulier pour l’hymnologie allemande, très créative.

Tout est possible pour louer Dieu à pleine voix et dans toutes les langues, à condition de le vouloir et de s’en donner les moyens !