« Luther existe, nous l’avons rencontré ». Gabriel Schoettel, écrivain, et Jean-Jacques Werner, musicien, évoquent leur plongée dans l’univers du réformateur qui a quelque peu fini par les marquer.
Témoignage de l’écrivain Gabriel Schoettel
Longtemps, j’ai été ce qu’on appelle un « protestant sociologique », c’est-à-dire peu impliqué dans son Eglise. J’ai repris le contact avec celle-ci lorsque j’ai publié mes romans chez Oberlin, notamment Un village si paisible, qui m’a fait rencontrer nombre de protestants engagés. Sans doute est-ce un de ceux-ci qui a soufflé mon nom au petit comité qui m’invite, au printemps 2013, au siège de l’UEPAL : la commission musique de celle-ci veut produire un opéra pour marquer l’année Luther, et me propose d’écrire le livret.
Un livret d’opéra ! Sur Luther ! Rien que cela ! Je commence par le plus facile : la documentation. Marc Lienhard, le spécialiste incontesté du père de la Réforme, me fournit tous les livres, films et même BD ! Je découvre, dans le moine de Wittenberg, un homme complexe, attachant, et dont la trajectoire, dans une époque tumultueuse, se prête admirablement à être mise en scène. C’est là que je me jette un défi : Martin Luther n’apparaîtra jamais en personne, afin que la tension émane de l’attente du « héros ». Se mettent en place, dans un enthousiasme croissant, les onze tableaux, qui s’organisent autour d’une table – Luther n’a-t-il pas écrit les Propos de table ? La femme de Martin, Mélanchton et quelques autres retracent les principales étapes de son parcours, les choeurs commentent l’action, cependant que des projections font le contrepoint contemporain. Car je veux montrer l’actualité du message de Luther, et incarner celui-ci jusque dans le XXIe siècle. Le titre s’impose à moi à la fin : ce sera Le mendiant de la grâce. Voilà pour la trame, le fil conducteur. Mais qui se soucie du livret, dans un opéra ? Nul ne sait qui a écrit le livret de Carmen, de Tosca ou du Trouvère ! Ce qui importe, c’est évidemment la musique. Et ce qui donnera vie à cet opéra, c’est la musique, c’est-à-dire Jean-Jacques Werner, qui va maintenant mettre ses notes sur mes mots !
Témoignage du musicien Jean-Jacques Werner
Luther est pour moi un vieux compagnon de route. Notre mère, dès notre prime enfance, nous parla du « bon Martin », en nous expliquant la bible. Nous étions paroissiens à Saint-Pierrele- Jeune : Luther s’y réincarnait pour moi en la figure charismatique du pasteur F. Bachmann, prédicateur hors pair. Si mes premiers émois musicaux furent les cloches de l’Église Saint-Florent de Cronenbourg, (nous habitions au 27 rue de Dossenheim), mon éveil musical doit tout à l’orgue et aux chorals chantés au culte. Dès mes premières compositions, ils furent intégrés en mes oeuvres. Tout au long de ma vie de musicien, ces chants d’Église, de louange, d’espoir, de paix, de vie et de mort, m’auront habité.
Lorsque l’UEPAL en la personne de Daniel Leininger me proposa début 2014 d’écrire la musique d’un opéra sur Luther, j’en fus à la fois enthousiasmé et… angoissé ! Quelle action ? quel livret ? par qui ? quelles options scéniques ? quel budget ? quels interprètes ? Grosse entreprise ! Le livret de Gabriel Schoettel ouvrit un vaste horizon où l’imaginaire pouvait se déployer. Si Luther n’apparaît jamais, il est omniprésent en onze tableaux grâce aux personnages principaux et un chœur qui commente l’action. Mais comment marier l’époque et le vécu de Luther avec notre sensibilité contemporaine ? Et quelles options chromatiques, instrumentales, vocales pour dynamiser une époque si lointaine et pourtant si proche ? Je me lançai dans l’aventure et à ce jour j’ai achevé le travail en sa version chant et piano. Le livret de Gabriel Schoettel est fascinant, les onze tableaux pleins de trouvailles permettant de faire vivre musicalement un homme, ses amis, ses proches, ses idées, une époque avec l’oeil et l’oreille d’un homme du XXIe siècle !
Le groupe orchestral composé de dix à onze musiciens va souligner et accentuer la trame théâtrale de l’ouvrage. J’ai longtemps hésité sur quelle fin donner à l’opéra. La clé se trouve être dans le titre que Gabriel Schoettel a donné à son livret : le mendiant de la grâce. La foi, la quête d’une vie meilleure, le temps, l’espace, autant de portes ouvertes qui nous permettent l’accès à la lumière. Traduire musicalement ces aspirations est déjà une grâce en soi.