- Ma différence de catholique avec frère Martin
Par Edouard Vogelweith, ex-délégué diocésain à l’œcuménisme
Le prêtre que je suis aime de temps en temps se plonger dans des biographies de prêtres qui ont marqué leur époque. Saint Dominique, saint Ignace, le Curé d’Ars, Don Bosco. Ces biographies laissent des traces dans les pensées et dans les cœurs. Pourrai-je en dire autant de Luther ? Je n’oublie pas qu’il a été prêtre, qu’il a vécu sa vie religieuse avec grand sérieux, qu’il était dans une recherche personnelle exigeante. Il luttait et souffrait.
J’ai eu la chance de rencontrer des formateurs qui m’ont évité ce chemin de « perfection chrétienne » et lors de retraites spirituelles – 8 jours, 30 jours – j’ai fait, sans trop le savoir, une expérience spirituelle qui pourrait être identique à celle de Martin Luther. Accueillir en soi une parole divine, se laisser habiter par l’Esprit Saint, découvrir la bonté de Dieu comme un Père qui vous libère. Cela vous remplit de joie. La joie de l’Evangile.
Mais j’ai conscience que 500 années nous séparent. Martin était marqué par la culture de l’époque. Je ne vais pas me prendre pour un « petit » Luther. Comme lui, je peux quelquefois souffrir de l’Eglise. La « Sainte Eglise » comme des catholiques aiment dire. Des fidèles protestants hésitent encore à prononcer ce titre ecclésial. On peut les comprendre. Entrevoir l’Eglise qui vous laisse des signes, qui concrétise l’appel du Seigneur, rappelle qu’au coeur de nos vies il y a le cheminement avec Jésus Christ, qui ouvre la route vers le Père et dispose à accueillir le don de l’Esprit Saint, est un rude chemin.
Quelle différence alors avec frère Martin ? Il a dit haut et fort que l’Eglise devait se convertir. Cet appel a été mal compris, mal reçu, au point que sa rupture avec Rome devenait un fait et une tragique réalité. Aujourd’hui je peux dire ce en quoi l’Eglise me fait souffrir. Mais un dialogue est toujours possible. J’ai vécu de tels dialogues. Je peux dire qu’ils ont été un enrichissement spirituel.
Lorsque je fais encore un peu de théologie, je plonge indistinctement dans Sesboüé ou Birmelé. Deux merveilleux théologiens, l’un jésuite, l’autre luthérien. Quelle chance et quelle joie. Alors pourquoi pas un pas de plus ?
- Protestants et juifs : une communauté de destin
Par Janine Elkouby, vice-présidente du Consistoire israélite du Bas-Rhin
Les fondateurs de la Réforme, Luther, Zwingli, Calvin, n’ont pas rompu, tant s’en faut, avec la théologie de la substitution *, qui fut le socle permanent du christianisme depuis deux millénaires. Cependant, les relations des protestants avec les juifs ont été marquées par des changements non négligeables.
Dès l’origine, les huguenots, revendiquant les valeurs évangéliques, font retour au texte biblique, qu’ils veulent lire dans la langue d’origine. Ils prendront pour maîtres des rabbins ou des érudits juifs, avec lesquels ils édifieront une culture biblique commune et noueront des liens d’estime et d’amitié.
Par ailleurs, les protestants, aux 16e et 17e siècles, abondamment persécutés, traqués, massacrés et, pour finir, chassés de France, ont été sensibles à une communauté de destin et se sont bien souvent, leur culture biblique aidant, identifiés avec ferveur, comme l’a fait Agrippa d’Aubigné, au peuple juif, dans l’histoire duquel ils se reconnaissaient.
C’est ainsi qu’à travers l’histoire, des liens se sont tissés entre protestants et juifs : à Amsterdam, terre de refuge pour les uns comme les autres, le rabbin Manassé Ben Israël entretint une correspondance avec l’intelligentsia protestante de toute l’Europe. Durant la Shoah, de nombreuses communautés protestantes comme celle du Chambon sur Lignon ont, sauvant tant d’enfants juifs, témoigné de l’exigence de leur foi.
Aujourd’hui, les protestants, comme l’ont fait les catholiques, répudiant enfin, avec la déclaration Eglise et Israël, la théologie de la substitution, et reconnaissant la valeur intrinsèque et la validité du message d’Israël, ont ouvert une nouvelle page qui permettra aux uns et aux autres, nous l’espérons de tout cœur, de cheminer de concert.
- Des Luther de l’Islam
Par Saïd Aalla, ancien président de la Grande Mosquée de Strasbourg
Beaucoup d’acteurs de l’Islam ont essayé de relever des ressemblances entre l’Islam et le protestantisme, mais pas toujours pour les mêmes raisons.
Martin Luther connaissait l’Islam à travers les écrits disponibles à son époque et dans un contexte bien particulier.
On retient aujourd’hui beaucoup plus la notion d’une réforme qui est intrinsèque à la foi musulmane.
De nombreux théologiens et intellectuels musulmans se sont vus attribuer le qualificatif de Luther de l’Islam pour leurs travaux ou leurs appels à une réforme de l’islam et de la pensée religieuse islamique. La Réforme a également contribué à l’émergence des études islamiques en Europe.
Soulignons que la première thèse d’islamologie a été soutenue à la faculté de théologie protestante de Strasbourg en 1839.
Les religions musulmane et protestante ont fait du chemin depuis la Réforme. Elles ont appris au fil du temps à mieux se connaître et à se rapprocher dans la fraternité et la cordialité.