La réponse prend trois sens bien différents.
Bénir un couple marié peut revêtir au moins trois significations : premièrement, une assurance de la part de Dieu sur les projets du couple (et notamment sur le projet de vivre ensemble) ; ensuite, une approbation de la part de Dieu quant au comportement du couple (et notamment quant au choix de se marier) ; et enfin, une attestation de l’amour inconditionnel que Dieu porte à chacune des deux personnes (et par voie de conséquence au couple lui-même).
On voit bien que les trois sens de la bénédiction d’un couple sont foncièrement différents, et que, s’ils peuvent se combiner, ils peuvent aussi s’exclure : ainsi par exemple, l’attestation de l’amour de Dieu peut être à l’œuvre indépendamment des conduites adoptées par chaque personne, qui ne recevraient pas automatiquement son approbation. Et dans chacun des trois cas, ce sont des objets bien spécifiques et distincts qui sont bénis : les projets dans le premier, les comportements dans le second, les personnes dans le dernier.
En dehors du protestantisme, la première signification de la bénédiction est très courante ; elle est même essentielle, voire exclusive, chez les peuples premiers : dans de nombreuses tribus africaines ou mélanésiennes où se pratique le culte des ancêtres, on invoque les défunts aïeux pour qu’ils garantissent la pérennité du mariage et la fécondité de l’épouse. Le judaïsme et l’islam se représentent aussi la parole de bénédiction comme étant performative, c’est-à-dire comme réalisant par elle-même ce qu’elle annonce ; on le constate dans le Premier Testament et dans le Coran.
Cette assurance contre les aléas de la vie conjugale n’est pas absente de la bénédiction nuptiale pratiquée dans la tradition catholique, qui considère le mariage comme un sacrement (sacrement non pas conféré par le prêtre, mais que les époux se donnent l’un à l’autre, en appelant ainsi à la protection divine sur leur engagement). Pour ces diverses religions et confessions, les deux autres significations de la bénédiction sont généralement incluses dans la première : Dieu aime les époux et approuve leur mariage. C’est pourquoi la bénédiction de couples de même sexe n’est pas concevable.
Dans le protestantisme, la perspective est différente. La première signification de la bénédiction comme assurance de Dieu est le plus souvent récusée par les théologiens, mais n’a pas disparu des représentations courantes des croyants, et ressurgit dans les théologies dites « de la prospérité » (qui garantissent bonheur, réussite sociale et fécondité à ceux qui reçoivent la bénédiction divine). Le débat interne au protestantisme porte plutôt sur les deux dernières significations : la deuxième est mise en avant par les milieux confessants, qui l’invoquent pour récuser la bénédiction des couples homosexuels ; la troisième est privilégiée par les milieux libéraux, certains retenant exclusivement l’amour de Dieu envers chaque personne, d’autres considérant que Dieu aime aussi le couple, qui constitue une nouvelle « personne », « une seule chair ».
Il est clair en tout cas que l’enjeu de la décision que prendra chaque Église au sujet de la bénédiction des couples de même sexe, doit porter sur la compréhension que nous avons de la bénédiction.
Frédéric Rognon est professeur de philosophie à la Faculté de théologie de Strasbourg. Il est également membre de l’équipe des rapporteurs nationaux au Synode de l’Église protestante unie de France (EPUdF) consacré à la bénédiction.