Les éditions modernes de nos bibles présentent un texte clair, à la typographie précise. Numéros de chapitres, versets, sous-titres, tout en facilite la lecture. Comment peut-on encore se rendre compte de la complexité des documents qui sont à l’origine du texte imprimé que nous tenons aujourd’hui entre nos mains alors que nous ne possédons plus aucun document original des textes rassemblés dans le Nouveau Testament ?

Nous ne disposons que de copies multiples et variées, grâce au méticuleux et incessant travail de reproduction et de traduction des copistes. Devant nous : de rares fragments de papyrus du IIe ou IIIe siècle, des parchemins à partir du IVe siècle, et quantité d’autres témoins manuscrits plus ou moins complets, rédigés en divers langues et lieux, et selon diverses traditions. 

Un texte flottant

De cette masse de documents, il ressort que des variantes existent entre les différents manuscrits d’un même texte. Les textualistes s’emploient à les répertorier et à les analyser pour établir une version du texte la plus proche possible de l’initiale.

Leur démarche est d’un intérêt théologique considérable. Elle rappelle au lecteur de la Bible le caractère instable du texte qu’il lit. En ce sens, parler de la Bible comme parole de Dieu nécessite de faire le deuil d’une conception matérielle de cette notion : le texte originel est à jamais perdu, sa formulation première reste incertaine. Nous lisons un texte flottant, modelé par la réception que les premières communautés chrétiennes en ont faite selon leurs propres manières de comprendre et de vivre leur foi. Ces variantes gardent la trace de la variété de leurs interprétations, intéressées non pas à défendre la lettre mais l’événement que la lettre désigne.

Un rapport libre au texte

La diversité des finales de Marc offre un exemple éclatant de ce rapport libre au texte. On connaît plusieurs variantes de son dernier chapitre : une finale dite « courte » (en 16.8), une autre avec une addition brève, une autre dite « longue » (16.1-8 + 9-20) ; d’autres manuscrits ont aussi transmis ces différentes finales à la suite. La finale première aurait- elle été perdue dans la transmission manuscrite ? L’auteur a-t-il volontairement interrompu son texte en 16.8 ? Nombre d’exégètes le pensent et rendent compte de la cohérence théologique d’un récit ainsi construit. De récentes recherches, portées par la culture digitale, montrent que l’hypothèse reste fragile, et relancent, manuscrits à l’appui, celle de la finale brève, tout en rappelant que la fin de cet évangile a très tôt fait débat (1).

Cette recherche vivante et vivifiante aide à comprendre que pour mener notre quête à travers ce vaste et hétérogène espace textuel qu’est le Nouveau Testament, nous ne pouvons pas nous contenter de décrire le langage scripturaire mais devons en passer par la non-immédiateté, le caractère indirect du texte, qui est aussi potentiel créateur de l’imagination, pour rendre compte de l’événement fondateur, inatteignable et inappropriable de la foi chrétienne, qu’est l’événement Jésus reconnu Christ.

(1) Voir : https://mark16.sib.swiss

Par Céline Rohmer, maître de conférences en Nouveau Testament, Institut protestant de théologie