Les rameaux ou l’histoire d’un malentendu fatal par Stéphane Hervé
Voici le récit dans l’évangile de Jean : « Une grande foule qui était venue pour la fête, apprenant que Jésus arrivait à Jérusalem, prit des branches de palmier et sortit à sa rencontre. Les gens criaient : “Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Béni soit le roi d’Israël !” Jésus, trouvant un petit âne, monta dessus. Il accomplissait ainsi l’Écriture : N’aie pas peur, fille de Sion. Voici ton roi qui vient, monté sur le petit d’une ânesse. Les disciples de Jésus ne comprirent pas sur le moment ; mais, quand il eut été glorifié, ils se rappelèrent que l’Écriture disait cela de lui, et que c’était bien ce qu’on avait fait pour lui. Ainsi Jésus recevait le témoignage de la foule, qui était avec lui quand il avait appelé Lazare hors du tombeau et l’avait ressuscité d’entre les morts. Et voilà pourquoi la foule vint à sa rencontre ; elle avait entendu parler du signe qu’il avait accompli. Les pharisiens se dirent alors entre eux : “Vous voyez bien que vous n’arrivez à rien : voilà que tout le monde marche derrière lui.” » (Jean 12.12-19). Contrairement aux trois autres évangiles, le récit des Rameaux selon Jean est rapporté de manière assez brève. Il n’évoque pas la mise en scène relative à la recherche de l’ânon. Chez Jean l’accent repose sur l’initiative de la foule qui réserve un accueil royal à Jésus : « Hosanna ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient, le Roi d’Israël ». Ce récit nous précise également les raisons de cette frénésie populaire.
Jésus n’est pas celui que la foule recherche
Cette foule semble essentiellement constituée des témoins du relèvement de Lazare et de ceux qui ont entendu parler de ce miracle. Ainsi, cet accueil de la foule trouve son origine bien plus dans les signes opérés par Jésus que dans son enseignement. Aux Rameaux, la foule acclame l’homme de pouvoir et celui qui peut vaincre la mort, à ne pas en douter, est l’homme de la situation pour faire face à l’occupation romaine et restaurer la royauté en Israël. L’histoire de l’humanité est la preuve qu’il ne s’agit pas d’une spécificité liée à la situation géopolitique du 1er siècle. Ces enthousiasmes populaires célébrant la domination de l’homme fort ont trop souvent conduit l’humanité aux souffrances et à sa perte. Lorsque des personnes se lancent aveuglément à la suite d’une personne, d’une cause, d’une idéologie véhiculée par le « bouche à oreille » ou par les médias, savent-elles seulement ce qu’elles font ? La question nous est aujourd’hui posée. Les Rameaux nous relatent en somme un immense malentendu, Jésus n’est pas celui que la foule recherche.
Le sort de Jésus est à partir de cet instant scellé. Il ne lui est plus possible de faire marche arrière : soit Jésus endosse le rôle de leader que lui attribue la foule, soit il meurt. En fait, sans le savoir, en acclamant Jésus comme son roi, la foule l’a déjà tué. Jésus sait dès lors que le chemin de croix a déjà commencé. « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font ». Comment donc ne pas percevoir que la prière de Jésus sur la croix concerne l’aveuglement de cette foule qui l’acclamait quelques jours plus tôt et dont les attentes ont été déçues. Le pouvoir romain n’a pas été renversé, la joie a fait place au ressentiment. Jésus demande pardon pour cette foule constituée d’hommes sans repère et sans consistance se laissant entraîner par des idéologies dans une forme de non-existence, en d’autres termes, dans la mort. En demandant pardon, Jésus atteste à chacun et chacune l’amour inconditionnel de Dieu qui permet d’exister en dehors de la foule, d’exister pour ce qu’il est, en tant qu’individu. Une parole de pardon qui permet à chacun et chacune de sortir de l’anonymat de la foule et de vivre en plénitude.
Pâques par Daniel Schrumpf
Tu dis au Seigneur « Seigneur, tu es bon pour moi, rien n’est au-dessus de toi ». Le « tu dis » est un féminin. En hébreu, la conjugaison distingue, à la deuxième personne du singulier, le masculin du féminin. Notre psalmiste parle à une femme – à moins qu’il ne se parle à lui-même, qu’il médite – auquel cas il n’est pas un psalmiste, mais une psalmiste. Il s’agit de la prière – du chant – de celui ou celle qui sort juste la tête de l’eau de son baptême, les yeux mouillés et la tête ébouriffée, il n’en revient pas de croiser de nouveau le regard de Dieu : « le Seigneur est sans cesse en face de moi » (Ps 16.8). Il s’agit du chant de Jésus-Christ, ce dimanche matin, lorsqu’il fit un premier pas hors de l’obscurité du tombeau, plissant ses yeux pas encore habitués à la lumière, dans ce moment que personne n’a vu, mais qui, avec la croix, soutient toute notre reconnaissance : « Tu ne m’abandonneras pas dans le shéol. Tu ne laisseras pas celui qui t’est attaché voir la tombe » (Ps 16.10). Il faut éviter de traduire « shéol » par « enfer », parce que l’enfer renvoi à tout un imagier. Rien de tout cela. « Shéol », ça veut juste dire : « sans Dieu ». Et c’est suffisamment dur pour qu’il n’y ait pas besoin d’en rajouter. Et le paradis de même, c’est avec Dieu. Immanou-El : Dieu-avec-nous. Le royaume n’est que confiance croisée de Dieu envers moi, et de moi envers Dieu. En ce matin de Pâques, nous découvrons avec étonnement comment Dieu a su faire preuve de confiance. Alors, tout comme cette psalmiste, je ne lui demande plus rien d’autre que continuer à vivre, ici et maintenant, cette complicité avec lui, initiée en ces jours de Pâques.
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