Or, lit-on par la suite sous la plume d’un autre membre de ce groupe de réflexion, « les femmes ne peuvent pas se reconnaître et inclure leur réalité féminine dans leur vie de foi si Dieu n’est que masculin ». L’enjeu est important : au cours de l’histoire du christianisme, ce sont incontestablement les hommes qui, bien trop longtemps, ont tenu les rênes du pouvoir entre leurs mains – y compris chez les protestants ! Il est donc légitime de s’interroger sur les conséquences théologiques des changements que notre société a connus ces dernières décennies en matière d’égalité des droits. Reste que l’entreprise en question m’interroge.
Tout d’abord, il me semble que l’on s’empresse trop rapidement ici de projeter une image négative sur les siècles passés. Car on ne peut pas dire que la question du sexe de Dieu ait attendu la fin du XXe voire le XXIe siècle pour se poser. Sans remonter à l’Antiquité ni au Moyen Âge, il est peut-être utile de se souvenir que Calvin, pour ne citer que cet exemple qui intéressera sans doute des lecteurs genevois, insistait déjà dans ses leçons sur Ésaïe sur le fait que Dieu peut être comparé à une mère qui porte son enfant. Une telle comparaison, en effet, ne saurait en rien choquer, au contraire : « [En Ésaïe 46,3,] Dieu se compare à une mère, qui porte son enfant en son ventre […] Si quelqu’un fait cette objection que Dieu est partout appelé Père, et que ce titre lui est plus propre et convenable, je réponds qu’il n’y a pas de figures par lesquelles on puisse suffisamment exprimer le zèle et affection singulière que Dieu a envers nous. » L’amour de Dieu peut donc parfaitement se dire au féminin, car il surpasse toute comparaison, toute « figure » : « Dieu nous est si bon et si pitoyable qu’il surmonte en amour toutes affections et de pères et de mères, que quand nous prendrons un père d’affection, le plus tendre qu’il est possible de penser, que nous prenions une mère qui voulût exposer cent mille fois sa vie pour son enfant, que ce n’est rien qu’une petite ombre de la bonté de Dieu. »
Pour Calvin, c’est clair : la question du sexe de Dieu est une question somme toute secondaire car Dieu se situe toujours au-delà de nos représentations. Vouloir s’en tenir à ces dernières, c’est en effet enfermer et limiter un Dieu dont la liberté sera toujours, justement, de dépasser nos images, qu’elles soient mentales ou taillées dans le bois.
Ensuite, pour reprendre l’exemple cité du Notre Père, ce qui me questionne, c’est la possibilité de contourner un texte biblique, voire de le réécrire en fonction de nos préoccupations du moment, fussent-elles légitimes – car, faut-il le rappeler, le Notre Père est d’abord un texte biblique. Entendons-nous bien : je ne suis pas un fétichiste du texte biblique et je ne crois pas en son inspiration littérale. Au contraire : ce qui me tient ici à cœur, c’est justement et précisément […]