Titre étonnant mais tout simplement biblique, issu du livre biblique Cantique des Cantiques, nous pouvons faire une lecture pour notre temps de : « Qu’il me baise des baisers de sa bouche ! »
Dans notre société un peu tristounette, on ne parle plus du couple que sous l’angle de la politique politicienne, de la loi et du règlement : PACS, mariage pour tous, divorce accéléré, PMA, GPA… Mais qu’est-ce qu’un couple ?
L’amour dans le couple
Quelle agréable surprise en ouvrant notre Bible – au milieu de tant de récits violents, de guerres, de malédictions, de trahisons, de massacres – voilà soudain un chant d’amour, d’amour bien humain, érotique et parfois très cru entre un homme et une femme. Pour une fois, les femmes ont la parole dans la Bible et ce couple chante son amour. Eh oui ! N’en déplaise aux puritains névrosés, tartuffes pharisiens et autres tristes sires, Dieu bénit l’amour physique et spirituel.
Or, toute la question dans l’histoire d’Israël et des Eglises chrétiennes a été : « Que faire de ce texte, comment l’affadir, lui faire perdre sa puissance charnelle ? ». Ainsi, de Rabbi Aquiba à saint Bernard en passant par Philon et
Grégoire de Nysse, on a vu fleurir une interprétation mystique et allégorique de ces simples chants de mariage de paysans palestiniens. La bien-aimée est alors, au choix : Israël courant après Dieu, la recherche de la Sagesse divine, l’âme qui cherche son créateur ou l’Église qui célèbre ses noces (mystiques, bien sûr !) avec le Christ.
Et si nous retirions les lunettes noires de la tradition pour laisser parler le côté solaire et brûlant de ce texte et le redécouvrir dans sa nudité et sa puissance poétique ?
En parler
Au cours de repas de mariage, plutôt que des discours avinés et pleins de sous-entendus graveleux, j’aimerais parfois entendre de la vraie poésie qui chante l’amour. Que les témoins fassent un peu preuve d’imagination, qu’ils écrivent un nouveau Cantique des Cantiques, (la répétition en hébreu est le signe du superlatif, de l’extraordinaire) pour nous transmettre la trace de l’amour éternel, du désir qui brûle et construit.
Dans nos bénédictions de mariage protestantes, si intellectuelles, si théologiques, (ré)apprenons à dévoiler, à chanter le jeu du désir, d’un désir à la mesure de l’infini et qui sait pour cela que rien ne peut le combler. Un désir qui ne s’arrête pas au corps de l’autre, qui ne le voit pas comme un objet de consommation jetable après usage. Car l’être amoureux transformé par le regard de l’autre n’a pas honte de ses imperfections.
Car, à la différence du primate dragueur sur les réseaux sociaux qui ne juge que sur images, le désir n’est humain que lorsqu’il est « désir du désir de l’autre ». La réciprocité est la condition de l’amour vrai nous rappelle le Cantique. D’où ces chants alternés entre la bien-aimée et le bien-aimé, ponctués par un chœur. Tout le chant est rythmé par la fuite et la course vers l’autre. Car l’amour est avant tout découverte infinie de l’autre.
Désir et altérité
Celui qui découvre qu’aimer, au sens érotique du terme, c’est d’abord désirer et être désiré, découvre alors la transcendance de l’autre qui ne sera jamais une possession. Il apprend à voir en l’autre pas seulement un corps désirable, mais un monde de mystères, de symboles, de correspondances poétiques et mystiques où se noue une relation sans soumission, où les deux sont vainqueurs et complémentaires. Par ce jeu amoureux qui est aussi un
jeu de mots, de paroles vraies et de rythmes, l’autre devient vraiment un être entier à respecter et à découvrir perpétuellement. C’est sans doute ce qui fait, en plus de sa dimension érotique évidente, la dimension mystique du Cantique.
L’aimé(e) qui se cache, afin d’avoir plus à offrir, est la figure de l’Autre par excellence. Son altérité se dérobe toujours à la possession exclusive, il devient la figure de Dieu lui-même. Ainsi mysticisme et érotisme ne s’opposent pas mais peuvent se compléter. Ils nous font découvrir que le mystère de la relation amoureuse est le mystère par excellence par lequel l’autre, l’être aimé, se dévoile dans sa transcendance.
Et Dieu dans tout ça ?
Son nom n’apparaît qu’une fois, dans la conclusion. Dans ces versets que tout (jeune) homme amoureux connaît par cœur : « Mets-moi comme un sceau sur ton cœur, Comme un sceau sur ton bras ; Car l’amour est fort comme la mort, La jalousie est inflexible comme le séjour des morts ; Ses ardeurs sont des ardeurs de feu, Une flamme de l’Éternel. Les grandes eaux ne peuvent éteindre l’amour, Et les fleuves ne le submergeraient pas ; Quand un homme offrirait tous les biens de sa maison contre l’amour, Il ne s’attirerait que le mépris. »
(Cantique, chapitre 8, 6-7)
Même sans ce seul verset où apparaît le nom de Dieu (l’Éternel), le livre garderait tout son sens. Une telle absence de la référence à Dieu dans un livre faisant partie du canon biblique est plus révélatrice que sa présence. C’est le signe que la Bible prend au sérieux l’amour humain dans toutes ses dimensions.