Noël est l’occasion de se faire des cadeaux. Mais on sent tout de suite le paradoxe de cette situation : si nous fêtons à Noël la manifestation de la grâce de Dieu, qui dans son amour inouï nous a offert son fils, gratuitement, sans aucune contrepartie, en revanche, les cadeaux que nous nous faisons les uns aux autres n’ont rien de gratuit, rien de cette offrande libre et désintéressée, rien de cette grâce pure et spontanée… Et le malaise n’est pas rare, chez les chrétiens, devant le décalage entre le sens de cette fête et la débauche de consommation. Car les cadeaux de Noël entrent dans une logique très humaine de transactions socialement obligatoires, de dons et de contre-dons, de réciprocité imposée par les normes culturelles. Comment donc concilier l’obligation de donner et la théologie de la grâce ?
Une première réponse serait de dire que l’essentiel ne se situe pas dans le cadeau lui-même, mais dans le lien qui se crée ou s’affermit lorsque nous donnons. La valeur marchande est secondaire, la relation est première. Car au fond, nous ne sommes pas si obligés de donner que cela : nous vivons dans une société individualiste, où la rupture d’une relation est très facile, très banale. La course de la vie quotidienne tend à nous isoler les uns des autres. Aussi, si nous donnons, c’est pour conjurer la dis- solution toujours menaçante des liens qui ne sont pas entretenus. En donnant, je partage. Je suscite un espace commun, je rappelle une fidélité. Le lien est quelque chose qui ne représente pas une perte quand on le donne, ni un gain pour soi tout seul quand on le reçoit. Le don est donc l’offrande d’un bien au service d’un lien. Si je fais un cadeau, je fais ou je confirme une alliance entre moi et le bénéficiaire. Et cela sans contraintes, donc quelque peu gratuitement.
Une seconde réponse pourrait s’énoncer en termes de prix de la grâce. Comme l’a si bien montré le théologien allemand Dietrich Bonhoeffer, la grâce de Dieu est effectivement gratuite, par définition, mais elle a un coût… après coup ! Si nous sommes sauvés par grâce et non par nos oeuvres, cet amour infini de notre Père céleste nous propulse alors vers des oeuvres : non pas pour être sauvés mais parce que nous le sommes. Et ces œuvres sont des oeuvres d’amour : manifester notre amour envers notre prochain, par exemple en lui offrant quelque chose qui lui fera vraiment plaisir, qui le touchera profondément, c’est une manière (parmi bien d’autres) de payer le prix de la grâce. Et mon conjoint, mes enfants, mes parents, sont aussi mes prochains. Il ne s’agira donc pas de donner pour donner, ou de faire la plus grosse dépense, mais de choisir soigneusement ce que je vais offrir, afin de dire à mon prochain, à travers le cadeau que je lui offre, que je l’aime. Et ce faisant, je deviens témoin de la grâce.