Il y a quelques années, j’ai décroché le droit de sucrer mes haricots verts à la cassonade.
C’est fou, maintenant qu’on sait que le sucre, tout ça, tout ça, mais à l’époque, mon père m’avait dit, en soupirant :
— Allez, on ne va pas passer la nuit à attendre que tu les manges, ces pauvres haricots verts. Tiens, je te mets du sucre et un morceau de beurre salé, ça va passer tout seul.
Et comment, mon neveu ! J’ai englouti mes haricots aussi vite que s’il s’agissait d’une crêpe beurre-sucre.
En voyant mes enfants faire à table, des années plus tard, j’observe avec amusement que chacun a sa technique face au poulet rôti-haricots verts.
Mon aîné mange ce qui tombe sous sa fourchette. Mon deuxième mange ses haricots en premier, grimace de circonstance, en lorgnant sur son poulet. Ma troisième range ses haricots soigneusement et commence par le poulet, puisque c’est ce qu’il y a de meilleur, et la dernière commence par les haricots… parce qu’elle adore ça.
Face à la vie, est-ce que nous n’avons pas, nous aussi, nos techniques perso, issues bien souvent des partis-pris éducatifs de nos propres parents ? Fleur-Lise me confiait que le mot d’ordre chez elle était « commence par ce qui te rebute, tu te feras plaisir après ». Chez moi, la cage d’escalier résonnait souvent des râleries de mon père : « Jouer, jouer, jouer ! À votre âge, je ratissais la cour et je remplissais les abreuvoirs ! ».
Lorsque la maternité a vidé nos journées de leurs temps morts…
… cette belle philosophie de la corvée-avant-le-plaisir a vite montré ses limites.
Bons petits soldats, nous avons essayé de nous autoriser une sieste après avoir lancé la lessive, nettoyé les biberons, fait les courses, le ménage, écrit un mot de remerciement à ceux qui nous avaient envoyé un cadeau de naissance… Ah, zut, le bébé se réveille, on fera la sieste demain. […]