Quand nos conversations deviennent de plus en plus animées, il serait temps de reconnaître que nous sommes piégés par nos biais cognitifs, ces raccourcis qui influencent notre jugement et entretiennent les divisions. Focalisons-nous sur cinq biais courants auxquels on peut échapper.
Vous vous êtes sûrement déjà retrouvé en prise avec une polémique ou un de ces sujets délicats qui ponctuent les dîners entre amis ou rassemblement familiaux : désaccord sur l’intérêt de la vaccination de la grippe, différends sur la politique internationales ou divergences sur les meilleurs placements financiers… Tous sujets souvent défendus avec véhémence.
A l’heure où nous disposons d’un niveau d’information rarement atteint dans l’histoire de l’humanité, nous donnons l’impression d’avoir de plus en plus de mal à nous entendre, mais surtout à nous faire une opinion juste. La faute en revient certainement aux biais cognitifs. Ces schémas de pensées, qui échappent à la logique ou à la raison, influent désormais fortement sur nos choix, et sont de plus en plus répandus dans le cercle personnel mais surtout dans les médias ou sur les réseaux sociaux.
Etudiés depuis les années 1970, les psychologues en dénombreraient plus d’une trentaine. Voici les cinq principaux biais que l’on peut relever, et surtout la manière de les déjouer en conscience.
1. Le biais de confirmation, ou la faculté à voir ce que l’on veut voir
Le biais de confirmation est notre tendance à chercher, interpréter et retenir uniquement les informations qui confirment nos croyances préexistantes, tout en ignorant celles qui les contredisent.
Ainsi, une personne persuadée que l’usage du téléphone portable est nocif pour la santé ne retiendra que les informations, témoignages ou études qui montrent ses effets négatifs et occultera celles soulignant leurs bénéfices.
Le biais de confirmation limite notre ouverture d’esprit, nous enferme dans nos croyances et nous empêche d’évoluer intellectuellement. Il est un fort facteur d’anxiété.
Comment le dépasser ?
- Accepter de remettre en question ses certitudes et s’efforcer de rechercher des points de vue différents.
- Prendre l’habitude d’exercer sa pensée critique, notamment en vérifiant ses sources d’information – ou en optant pour des sources fiables.
- Envisager que l’on puisse se tromper et voir cela comme une opportunité plutôt qu’une contrariété.
2. L’effet Dunning-Kruger, ou le déséquilibre entre confiance et compétence
Il doit son nom, et sa mise en évidence, aux psychologues américains David Dunning et Justin Kruger. Ce biais désigne la tendance des personnes les moins compétentes dans un domaine à surestimer leurs connaissances et capacités, alors que les experts ont tendance à sous-estimer leurs propres capacités.
C’est le cas quand quelqu’un qui découvre un nouveau sujet peut soudain se croire très doué dans sa compréhension, tandis qu’un professionnel expérimenté sera plus rigoureux et critique dans son argumentation. Ceci explique qu’en 2020, en pleine crise sanitaire inédite, la France a compté des millions d’épidémiologistes… et autant de discours tous plus farfelus les uns que les autres.
L’inconvénient de ce biais est qu’il peut conduire à prendre des mauvaises décisions (comme celle de ne pas se faire vacciner) ou d’opter pour des choix mal fondés.
Comment le dépasser ?
- Persévérer dans sa réflexion et se rappeler que plus on apprend, plus on découvre ce que l’on ignore.
- Réussir à considérer les retours d’experts et les accepter avec humilité.
- Cultiver la curiosité et l’envie d’apprendre en permanence.
3. Le biais d’ancrage, ou la première impression qui trompe
Le biais d’ancrage nous pousse à accorder une importance excessive à la première information reçue sur un sujet, même si elle est arbitraire ou erronée.
Admettons que vous visitiez un bien immobilier proposé à 300 000 €. En négociant, le vendeur accepte une offre à 290 000 €, ce qui vous semble raisonnable par rapport au prix de départ. Or, si l’annonce avait été affichée directement à 290 000 €, vous auriez sans doute essayé d’obtenir un prix encore plus bas. Vous avez été trompé par votre première opinion.
Le biais d’ancrage fausse notre jugement et influence nos décisions financières ou nos négociations, parfois au détriment de la logique.
Comment le dépasser ?
- Comparer plusieurs sources avant de prendre une décision.
- Prendre le temps et du recul avant d’arriver à une conclusion.
- Se méfier des chiffres et des premières impressions en les replaçant dans leur contexte.
4. Le biais de négativité, ou la prééminence du mauvais sur le bon
Le biais de négativité désigne notre tendance à accorder plus de poids aux événements négatifs qu’aux positifs : une seule critique peut marquer plus que dix compliments, et une mauvaise nouvelle attire davantage notre attention qu’une bonne.
Un salarié peut recevoir des encouragements sur son travail toute l’année, mais si son manager lui fait une remarque négative, il ne retient que celle-ci qui l’emporte sur toutes les autres, et il vient à douter de ses compétences.
Ce biais entretient la mauvaise estime de soi et amplifie le stress, l’anxiété et le défaut de reconnaissance. Il peut aussi fausser nos décisions, en nous faisant percevoir une situation comme plus dramatique qu’elle ne l’est réellement.
Comment le dépasser ?
- Revenir aux faits et aux éléments objectifs, en réajustant volontairement son analyse pour valorisant les aspects positifs.
- Accentuer la prise de conscience en tenant, par exemple, un journal de gratitude pour s’habituer à repérer le positif dans son quotidien.
- S’entraîner à relativiser les objections, remarques négatives ou critiques en se demandant si elles auront encore de l’importance dans un an.
5. L’effet de simple exposition, ou aimer ce que l’on connaît
Ce biais souligne le fait que nous ayons une préférence naturelle pour ce qui nous est familier. Plus nous sommes exposés à quelque chose (un lieu, un environnement, une situation, une personne…), plus nous avons tendance à l’apprécier.
Par exemple, si nous avons envie de changer de travail, mais que nous apprécions nos collègues ou notre bureau que nous fréquentons depuis des années, cela va immanquablement freiner notre désir d’évolution.
Le biais de simple exposition nous rend prisonnier de nos habitudes et réticents à la nouveauté, même quand elle est bénéfique. Cela peut aller jusqu’à maintenir une situation désagréable mais connue plutôt que d’aller vers une situation potentiellement meilleure, mais inconnue.
Comment le dépasser ?
- Oser sortir de sa zone de confort et dépasser ses peurs courantes pour essayer de nouvelles choses.
- Remettre en question nos habitudes, en cherchant à comprendre pourquoi nous les entretenons.
- Se rappeler que la nouveauté peut être inconfortable au début, mais que nous avons la capacité de nous y adapter pour évoluer sur le long terme.
Les biais cognitifs ne disparaissent jamais totalement. Toutefois, en prenant conscience de leur existence et en adoptant une approche plus critique et réfléchie, nous pouvons apprendre à mieux raisonner et à prendre des décisions plus éclairées. Cela suppose parfois un peu d’humilité, pour être plus ouverts au débat, à la remise en question et à l’amélioration de nos jugements au quotidien. C’est cela vivre en société, non ?