Tous les thérapeutes qui ont élaboré les grands concepts de la psychogénéalogie, puis les bases de la thérapie transgénérationnelle, ont fait le même constat. Ils se trouvaient face à une personne qui souffrait de troubles psychologiques, émotionnels ou maux physiques, sans qu’aucune explication logique, cause objective ou origine anatomique, physiologique ou biologique ait pu être trouvée. Qu’il s’agisse de Sigmund Freud, Carl-Gustav Jung, Nicolas Abraham, Jacob Levy Moreno ou Anne Ancelin-Schützenberger, leur intention était d’aider leurs patients à se libérer de leurs difficultés et blocages actuels, en explorant leur arbre généalogique.

Leur intuition pouvait paraître folle : ils étaient convaincus qu’un événement survenu dans la vie d’un ancêtre continuait à résonner dans celle de ses descendants – ou de certains d’entre eux. Ces événements étaient plus particulièrement ceux marqués du sceau d’un secret, et dont le souvenir avait été enfoui dans la tradition familiale, souvent pour des raisons morales car ils généraient culpabilité, honte ou déshonneur. Je vous renvoie à l’épisode trois, dans lequel nous avons développé la nature de ces secrets. Mais quelles que soient les raisons pour lesquelles le secret a été maintenu, il peut avoir des répercussions bien pires pour les générations suivantes.

La loyauté au cœur du souvenir

Les membres d’une même famille, qui partagent un même inconscient familial, se trouvent liés par un pacte du silence implicite. Il s’agit même d’une injonction paradoxale, que l’on pourrait traduire par « Il faut se souvenir d’oublier ». Ce pacte est un élément fédérateur dans l’arbre généalogique, reposant sur le principe de loyauté qui est la condition de survie du système familial. Si un membre trahit ce pacte, même involontairement, il prend le risque de faire exploser tout le système – ou d’en être banni lui-même. Ce qui fait dire à Anne Ancelin-Schützenberger : « Nous sommes littéralement portés par une puissante et inconsciente fidélité à notre histoire familiale. » 

Or plus il est maintenu dans le silence, plus le secret est agissant, et il va se manifester sous d’autres formes pour les générations ultérieures : des troubles somatiques, des phobies ou des comportements compulsifs peuvent être des manifestations de secrets enfouis.

Les principaux schémas de conversion

Le secret qui peut être à la base perçu comme une faute morale – selon les critères de son époque, va être traduit – converti – de différentes manières :

– Des symptômes physiques inexpliqués. « Le corps de l’enfant est le langage de l’histoire de ses parents » : les enfants manifestent dans leur corps les non-dits de leurs parents. (Françoise Dolto). 

Maux de tête, de gorge, eczéma, asthme, allergies…quand ils ne trouvent aucune explication médicale, peuvent être abordés sous l’angle de la psychogénéalogie, avec des analogies autour de la « prise de tête », de la difficulté à communiquer (ou à « avaler » une situation), de la sensibilité, du regard des autres, ou de souvenirs d’étranglement, de brûlures ou d’étouffement chez un(e) ancêtre.

– Des émotions excessives ou inappropriées. Tristesse immense, anxiété permanente, phobies paralysantes… On pense que dès leur naissance les enfants s’imprègnent des émotions de leurs parents, en partie à cause des neurones-miroir qui peuvent créer une forme de mimétisme dans les sentiments. En s’identifiant aux émotions de leurs géniteurs, les enfants marquent leur attachement. Ils peuvent aussi exprimer des émotions plus anciennes, qui se sont propagées dans l’arbre : douleur d’un abandon, chagrin d’un deuil, angoisse de séparation…

– Des rôles assignés. Des membres de la famille peuvent se voir imposer des rôles définis : le protecteur, le bouc émissaire, l’enfant prodige… qui se transmettent d’une génération à l’autre – et parfois à certaines places de la fratrie (l’aîné, le cadet, le benjamin…). A l’inverse, certains aspects de l’identité d’une personne peuvent être niés, voire interdits, notamment quand ils sont en relation avec la sexualité.

– Des fonctions réparatrices. Sous la pression inconsciente de la transmission familiale, certains membres vont calquer leur vie ou leurs comportements sur ceux d’ancêtres, qu’ils les aient connus ou non, pour être fidèle à leur mémoire, leur engagement ou leur notion de sacrifice. Ils imitent ou réparent certains choix de vie : rester célibataire, ne pas avoir d’enfant, choisir (ou éviter) certains métiers, rester auprès de ses parents vieillissants…
– Des blocages sociaux. L’épanouissement, voire la réussite de certains membres de la famille va se trouver empêchée, du fait des souvenirs de ruine, ou de la conception que la famille a de l’argent, de l’effort, du succès, de la célébrité… Au quotidien, cela peut se traduire par une difficulté à faire reconnaître ses mérites ou à obtenir une promotion.

– Des comportements dysfonctionnels. Une histoire d’abus ou de violence dans une génération peut se répéter dans les générations suivantes, souvent de manière inconsciente : maltraitance, abus sexuels, addictions à l’alcool, à la drogue ou au jeu… Ou elle peut créer des contre-comportements protecteurs : s’éloigner des hommes, se méfier des personnes qui ont de l’autorité, s’empêcher toute activité qui fait plaisir…

Ces troubles, maux et blocages vont être d’autant plus manifestes si la personne concernée a un lien particulier avec son ancêtre : il/elle porte le même prénom, est né ou s’est marié le même jour que lui, lui ressemble (ou en tout cas c’est ce qu’on lui répète)… Une fille va davantage répéter les schémas des femmes de sa lignée maternelle – et un garçon ceux des hommes de sa lignée paternelle. Les manifestations peuvent aussi être plus intenses dans tous les phénomènes d’anniversaire : date symbolique, âge identique… Ces éléments sont d’ailleurs plus facilement mis en évidence lorsqu’on réalise son génosociogramme (cf. épisode 1).

Pour autant, tous ces symptômes ne relèvent pas de la fatalité. Il est possible, à tout moment, de faire cesser ces injonctions et répétitions. Nous verrons dans le prochain – et dernier -épisode comment agit la thérapie transgénérationnelle.

Pour aller plus loin…

– Ces enfants malades de leurs parents ; Psychogénéalogie. Guérir les blessures familiales et se retrouver soi, Ghislain Devroede, Payot, 2003 et 2007
– Comment paye-t-on les fautes de ses ancêtres ? L’inconscient transgénérationnel, Nina Canault, Ed. Desclée de Brouwer, 2007