Pour peu que vous vous intéressiez aux disciplines de la psychologie, du développement personnel ou du coaching, vous avez certainement en tête des figures emblématiques qui vous servent de modèles. A travers les enseignements de Freud, de Jung, de Milton Erickson ou de Winnicott, on découvre des concepts de vie qui nous font évoluer. A moins que ce ne soit la spiritualité qui guide votre chemin, et que la vie exemplaire et le message d’amour de Jésus ou de Bouddha vous inspire. Il y en a tant de ces maîtres de vie, propres à constituer des mentors, qu’ils soient philosophes, hommes d’Etat ou artistes !

Pourtant, nos plus grandes leçons de vie nous sont souvent données par des personnages plus quotidiens, l’air de rien. J’ai perdu il y a quelques semaines l’un de mes oncles. Handicapé depuis son enfance, son âge mental était celui d’un enfant de 12 ans. Même s’il a travaillé et gagné son autonomie, dans ma vie je n’ai jamais pu avoir avec lui une conversation qui dure plus de dix minutes. Mais tout le monde appréciait son immense gentillesse et son dévouement.

A son décès, je me suis demandé ce qu’il m’avait transmis – d’autant qu’il était aussi mon parrain. Quelle n’a pas été ma surprise de réaliser qu’il avait influencé mon existence bien plus que je n’avais pu le croire. Le côtoyer m’a donné dès l’enfance des capacités de tolérance et d’ouverture, car j’ai toujours pensé que la différence ou l’apparente faiblesse n’étaient pas des obstacles. J’ai longtemps travaillé dans le domaine du handicap, un secteur qui m’a toujours paru évident – quand d’autres de mes amis choisissaient des domaines de l’économie plus performants ou valorisants. Ça ne m’a jamais posé de problème, mieux, j’en ai tiré de grands enseignements, me faisant entrevoir ce qu’il y a de plus humain dans chaque être – y compris les plus défavorisés.
J’y ai perçu un engagement dans lequel résonnaient aussi les paroles de l’Evangile : « En vérité, je vous le déclare, chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ! » (Matthieu 25, 40).

Dans des hôpitaux psychiatriques, des établissements d’aide par le travail, des foyers, j’ai croisé beaucoup de « petits », qui m’ont donné de grandes leçons d’humanité. Le philosophe Alexandre Jolien, handicapé lui-même, a vécu les premières années de son existence dans un établissement spécialisé, entouré de personnes invalides, dont certaines ne parlaient même pas. Il les tient pour les plus grands maîtres de philosophie qui aient traversé son existence.
Par cette sensibilité et cette connaissance proche du handicap, mon oncle Bernard a été un maître de vie plus puissant que Nelson Mandela ou Martin Luther King.

Mes enfants ont été des maîtres de vie. Même si, depuis leur naissance, j’étais censé les protéger et les élever – ce que j’ai fait, je l’espère, plutôt pas trop mal – ce sont eux qui m’ont aussi fait grandir. Par leurs réflexions, leur naturel, leurs questionnements, ils ont réinterrogé mes certitudes et augmenté en moi des capacités de compréhension, de remise en question, de tolérance, d’étonnement. J’ai appris sur moi – et parfois réappris avec eux, y compris dans les moments conflictuels. Aujourd’hui avec leurs goûts, leurs coups de cœur et leurs passions, ils m’emmènent encore vers des destinations inconnues, pour moi qui pensais « tout savoir ».

Certains de mes patients sont inopinément des maîtres de vie. Parce que leur histoire résonne parfois avec la mienne, ils m’obligent à reconsidérer une situation, à reprendre un travail sur moi, à relativiser des tentations de toute puissance…

Nos maîtres de vie se cachent parfois au coin de la rue : tel passant qui a un geste aimable, tel commerçant qui nous délivre un petit aphorisme qui va faire son chemin, telle personne vaguement croisée dans un dîner – et qui vous assène une vérité cachée, comme une petite graine qui n’en finira pas de pousser dans notre esprit. Laissons-les traverser nos existences, nous enseigner et nous faire grandir encore et toujours.