Dans une époque lourdement marquée par la peur du chômage et la menace potentielle d’un licenciement, « monter sa boîte » devient un recours accessible mais malgré tout risqué. Certains choisissent de ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier en optant pour la nouvelle tendance du marché du travail, le slashing.

En 2017, le slasheur est plutôt une slasheuse, trentenaire et urbaine. Son idéal de vie professionnelle ? Cumuler plusieurs métiers en même temps, séparés chacun par la barre typographique inclinée, le slash. Valérie est orthophoniste/cuisinière. Marion (elle se reconnaîtra) fut longtemps vendeuse en prêt-à-porter/créatrice de bijoux, Pierre est graphiste/musicien, Nathalie est attachée de presse/coach, Julie est agent de voyages/masseuse… Quant à moi je réalise que je suis sophrologue/formatrice/auteur et vaguement journaliste web et radio à mes heures perdues… Cette pluriactivité n’est pas toujours une nécessité économique, elle relève le plus souvent d’un choix délibéré.

Des pluriactifs talentueux

Si la polyvalence est de mise depuis deux décennies dans les entreprises, le slashing en est une bonne illustration et une parfaite adaptation au marché du travail : il permet de résister aux aléas de certains secteurs en privilégiant une des cordes que l’on a à son arc. Il convient très bien aux « Y » – ceux de la génération créative et zappeuse – qui fuient la routine et ne se voient pas faire le même métier tout le temps, ni toute leur vie. Le slashing séduit aussi ceux qui travaillent depuis quelque temps mais sont en quête de sens et d’épanouissement – en particulier les personnes qui amorcent une reconversion professionnelle. Elles peuvent développer une passion, tout en conservant un salariat alimentaire à temps partiel. Une bonne manière de tester leur projet et de prendre le minimum de risque, en attendant de pouvoir en vivre.

Parmi les pluriactifs on trouve facilement des artistes – ou des artisans – qui, en cumulant les talents, s’assurent de tirer de leur expertise un revenu plus stable. Marine est peintre/professeur de dessin, Boris est écrivain/concepteur-rédacteur/animateur d’ateliers d’écriture, Romain est auteur de BD/graphiste, Marie est consultante en fromage/propriétaire d’une épicerie fine…
Il faut dire que la flexibilité du travail (cumul de temps partiels, congé de reconversion, année sabbatique, statut d’auto-entrepreneur…) rend les choses plus facilement possibles et on peut désormais cumuler ou alterner salariat et activité indépendante. Les nouvelles technologies facilitent le slashing, tout comme la multiplication des nouveaux espaces de travail partagés – le co-working –  qui permettent d’ailleurs la rencontre et le travail entre slasheurs qui partagent leurs savoir-faire et s’encouragent.

Tous schizophrènes ?

Les sociologues et les psychiatres qui se penchent sur ces nouveaux comportements mettent toutefois en garde. Le premier risque est celui du rythme imposé, qui suppose une organisation et un agenda bien structurés – au risque de frôler le burn-out. Car le cumul rime avec l’accumulation et suppose souvent de travailler bien plus que les 35 heures légales. Certains pointent l’instabilité que la pluractivité représente : en passant sans cesse d’une chose à l’autre, on n’en choisit finalement aucune. D’autres considèrent que les slasheurs ont une tendance narcissique, puisqu’ils se définissent davantage par leur personnalité et leur identité que par leur métier. Le risque d’isolement est réel : à force de zapper d’un métier à l’autre on est souvent seul à affronter toutes les responsabilités, sans recul ni collègues pour partager ses doutes.

Socialement, les pluriactifs dérangent. D’abord parce qu’ils n’entrent pas dans les cases – et ne supportent pas les étiquettes. D’aucuns jalousent leur indépendance, sans toutefois la tenter. Ensuite, parce qu’il leur est parfois difficile de se présenter et ils doivent orienter leur « casquette » en fonction de leur interlocuteur. Ils ont souvent plusieurs CV, et plusieurs cartes de visite.

Ce phénomène qui concernerait près de 4,5 millions de Français (mais dans lesquels on classe aussi bien les professionnels libéraux qui exercent dans le secteur public et privé que les saisonniers) n’est pas près de s’arrêter. Dans un monde du travail incertain, le slashing pourrait constituer une forme de résistance au marché, tout en maintenant l’intérêt porté à ce que l’on fait. Parfois risqué, mais stimulant.

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