Notre Père qui es aux cieux, que ton piano soit sanctifié, sur lequel nous disposerons des notes poivrées, des harmonies de girolles et des parfums de Chambertin ; donne-nous aujourd’hui de multiples petits pains – levain, seigle, challah – que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel de nos papilles. Et pardonne-nous nos offenses… Il n’est rien de supérieur – enfin presque – au plaisir d’un bon repas. Le concevoir, inventer de nouvelles formes d’entrées, de plats, de desserts encore, suppose de l’imagination, mais encore le respect des règles. Cette grammaire, en apparence, n’a pas de liens directs avec le Livre. Et pourtant, si l’on y songe, on ne peut que discerner des points de rencontre, tout comme avec la musique, dont la cuisine a chipé pour partie le vocabulaire, ainsi qu’en préambule nous en avons glissé quelques mots.

Le nouveau livre de Jean-Luc Gadreau, « À table avec la Bible » (éditions Bibli’O, 120 p. 38 €), nous donne envie d’avancer les aiguilles de l’horloge, de découper quelques oignons, des légumes verts, et de rêver au déjeuner. 

Le sous-titre de ce bel ouvrage a valeur de programme : « 40 recettes basées sur les émotions et la Bible ». On repère le nombre, dont nous ne ferons pas l’injure aux lecteurs de Regards protestants de rappeler la symbolique et les références bibliques. On aime aussi le distinguo. Si nous assumons d’être portés par les immatérielles sensations que la psyché nous offre, nous n’enfermons pas le Texte dans cette seule transcendance. Invoquant « Le festin de Babeth », un film de Gabriel Axel inspiré par le livre de Karen Blixen et interprété, notamment, par Stéphane Audran, Jean-Luc Gadreau – qui tient un blog consacré au cinéma sur Regards protestants, rédige des chroniques sur l’actualité du septième art dans Réforme – explique : « Ce film parabolique dit avec une force exceptionnelle comment l’amour et le don de soi peuvent transformer les situations et les vies. »

« On mange beaucoup tout au long de la Bible »

Cet ouvrage est-il théologique ? Evidemment pas. Mais son auteur, en bon exégète, invite à la lucidité : « Il faut se l’avouer, on mange beaucoup tout au long de la Bible et les repas sont souvent le théâtre d’actions décisives, essentielles ! Le repas est naturellement un lieu du quotidien, où la vie passe, tourne, surgit, avec toutes ses contradictions. » Cette dialectique plaira bien sûr aux protestants : l’ordinaire des jours et l’exceptionnel de l’existence peuvent, nous allions écrire « doivent », se concilier. C’est ainsi que jaillit l’enchantement du monde.       

La cuisine, un plaisir lié à l’enfance

Parce qu’il n’est pas de cuisinière plus illusionniste que l’enfance, Jean-Luc Gadreau reconnaît que ses premiers émois de repas viennent de la Bourgogne maternelle, accompagnés des commentaires d’un père pasteur. Autrement dit, dès ses jeunes années, Jean-Luc a aimé tout à la fois la convivialité de la table et la bonne humeur provoquée par la lecture du Livre. A partir de quoi, comme on le devine, l’auteur est passé de l’autre côté de la barrière. Et ce saxophoniste professionnel a joué du piano de cuisine avec passion.

Votre patience est-elle à bout ? Nous devinons votre désir d’en savoir davantage au sujet des recettes. Recette, un nom qui mérite à lui tout seul une exégèse : aujourd’hui mal considéré parce qu’il induit l’idée qu’il faille appliquer des ordres préétablis, ce mot contient pourtant mille promesses : il indique la juste façon de réaliser un plat, sans brider notre libre arbitre. Deux personnes ayant le même degré de talent, appliquant la même recette offriront des mets différents, parce que la personnalité de chacune d’elle imprimera sa marque. Instruit de cette réalité par une solide expérience de la vie, Jean-Luc Gadreau propose, mais n’impose rien.

Couscous terre-mer, baekeoffe, risotto…

Tout commence par la Genèse, à laquelle notre ami associe le Couscous terre-mer. « Le couscous possède cette faculté d’ouvrir en moi une forme d’euphorie », écrit l’auteur. A l’Exode il accole un baekeoffe. En voici la raison : « Le baekeoffe est un plat traditionnel alsacien, à base de viandes et de légumes marinés, que les ménagères préparaient depuis le samedi soir, puis déposaient sur le chemin du temple protestant chez le boulanger. Celui-ci le faisait mijoter dans son four tandis que ce dernier refroidissait après la cuisson du pain, durant les longs services religieux luthériens. » Le risotto à l’encre de seiche, pesto et coques illustre le Lévitique, les nombres et le Deutéronome. On remarque au passage que le Cantique des cantiques est accompagné par « un vin de roi, calme et puissant », tandis que la pizza donne le « la » des quatre évangiles.

Déjà, vous demandez grâce. En tournant les pages de ce livre illustré de façon remarquable par les photographies et les dessins de Tiphaine Birotheau – vous sentez venir en vous le furieux désir de passer à l’action. La gourmandise est toujours considérée comme une faute grave, l’affaire est entendue. Mais en chacun de nous sommeille un Averell Dalton tel que l’imagina René Goscinny. Voilà pourquoi, lisant le livre de Jean-Luc Gadreau, vous ne manquerez pas de murmurer : « Quand est-ce qu’on mange ? » 

A lire : Jean-Luc Gadreau « À table avec la Bible » (éditions Bibli’O, 120 p. 38 €)

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