Il n’y avait pas eu, en France, de rétrospective consacrée au peintre américain Mark Rothko depuis plus de vingt ans. La fondation Louis-Vuitton reprend le flambeau en proposant une exposition de près de 120 tableaux, souvent de grands formats qui s’inscrivent superbement dans tous les espaces du lieu. Cette exclusivité aurait sans doute plu à l’artiste qui rejetait la proximité des œuvres de ses contemporains car elles entravaient, selon lui, la concentration de l’attention sur les siennes.
Mais faut-il faire tant d’efforts pour comprendre ? Les œuvres de la période abstraite du peintre, celles qui ont affirmé sa manière dans les années cinquante, avec ses grands rectangles verticaux lumineux, ses portraits sans figures, « portraits d’âme » si on ose dire, envahissent tout de suite la conscience du spectateur qui se laisse sans résistance absorber en elles.
Entrée dans la nuit
othko n’aimait pas qu’on qualifie sa peinture d’abstraite. Elle l’est pourtant. Mais ce qu’il refusait dans le mot, c’est qu’il soit associé à des préjugés de sécheresse, de dureté mentale, de lignes mathématiques ignorantes des émotions humaines. Or l’abstraction de Rothko est tout sauf froide. Elle ressemble à un incendie, flammes et vapeurs confondues, où dominent, tout au moins au début, les orangés, les jaunes, les pourpres. Sa palette s’enfonce ensuite progressivement dans la nuit. Une nuit qui rayonne à partir d’un centre intérieur de plus en plus inaccessible et consacre Rothko comme un des artistes les plus profondément spirituels de son temps. […]