Ce film prend la forme d’une confession scénique, un oratorio intime et incarné, dans lequel le chanteur de U2 mêle musique, mémoire et foi avec une audace désarmante.
Parmi les films hors compétition de cette édition cannoise, celui-ci a été l’un des plus attendus. Non parce qu’il promettait une fresque rock tonitruante – il n’en est rien – mais parce qu’il annonçait un moment de grâce rare : voir un homme de foi, d’art et d’engagement social se livrer en vérité. Sur scène, seul ou presque, Bono raconte son histoire. Mais c’est surtout l’Histoire qui s’invite : celle d’un garçon irlandais élevé entre un père catholique, une mère protestante, une Église divisée, et un pays fracturé par la violence politique.
Une scénographie à hauteur d’homme
Ce n’est pas un concert, ni un biopic traditionnel. C’est un témoignage vivant, incarné, bouleversant de sincérité. Capté avec une grande finesse par Andrew Dominik — cinéaste reconnu pour son regard poétique et mélancolique sur les icônes tourmentées (Blonde, L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, This Much I Know to Be True, un documentaire sur Nick Cave). Adapté de son autobiographie Surrender : 40 chansons, une histoire, le film épouse la forme d’un « one-man show musical », où Bono chante, joue, parle et s’interroge. La caméra épouse les silences autant que les envolées vocales. Chaque chanson devient une étape, un jalon, une prière parfois. La mise en scène minimaliste – quelques chaises, des dessins projetés, des musiciens discrets (mais remarquables avec des arrangements très originaux) – permet à la parole de surgir dans toute sa force.
On retrouve ici l’essence même d’une tradition protestante : la puissance du Verbe, incarné, vivant, libérateur. Bono ne prêche pas, il témoigne. Mais de cette confession naît une forme de proclamation, humble et vibrante.
Une foi traversée par le doute
Ce qui émeut dans Stories of Surrender, c’est la tension constante entre la lumière et les ténèbres. Bono parle de la mort précoce de sa mère, de la colère contre Dieu, de ses difficultés relationnelles avec son père, des doutes qui l’ont assailli… Il parle aussi, et surtout, de cette voix qui ne l’a jamais quitté : celle de Yeshoua (comme il aime le dire), doux et radical à la fois. Dans ce parcours heurté, on reconnaît une théologie vécue, incarnée, aux antipodes d’une foi triomphante. Bono ne cache rien. Il dit les blessures, l’orgueil, les erreurs. Mais il chante aussi la rédemption, l’amour qui pardonne, et la puissance de l’espérance.
Une voix pour les sans-voix
Bono a toujours été plus qu’un chanteur. Engagé dans la lutte contre la pauvreté, la dette des pays africains, le sida ou encore les injustices sociales, il rappelle dans ce spectacle que l’art peut être prophétique. Sans jamais se poser en héros, il reconnaît ses limites mais aussi l’appel intérieur qui le pousse à s’élever, et à élever les autres.
Bono : Stories of Surrender est un film à part. Il est ce que son titre annonce : une histoire de renoncement, d’abandon, mais aussi de renaissance. Il ne s’agit pas de se résigner, mais de se livrer. À la musique. À l’autre. À Dieu. En sortant de la salle, une pensée s’impose : il est rare d’entendre sur un écran cannois un homme parler aussi librement de sa foi, sans provocation ni prosélytisme, mais avec une sincérité désarmante. Et c’est peut-être cela, le plus beau cadeau de ce film : rappeler que l’on peut encore croire, chanter, espérer, et offrir au monde un peu de cette lumière qu’on a reçue.