Après avoir gagné le Prix spécial du Jury au Festival de Sundance en début d’année, Animalia est sorti ce mercredi 9 août sur les écrans français. Réalisée par la franco-marocaine Sofia Alaoui, cette histoire est fascinante, en ne cherchant jamais la facilité, mais en proposant au spectateur de se laisser questionner sur des thématiques fondamentales de l’existence humaine.
Itto, jeune marocaine d’origine modeste, s’est adaptée à l’opulence de la famille de son mari, chez qui elle vit. Alors qu’elle se réjouissait d’une journée de tranquillité sans sa belle-famille, des événements surnaturels plongent le pays dans l’état d’urgence. Des phénomènes de plus en plus inquiétants suggèrent qu’une présence mystérieuse approche. Seule, elle peine à trouver de l’aide…
Animalia, le premier long métrage de Sofia Alaoui développe l’univers qu’elle avait précédemment introduit dans son court, Qu’importe si les bêtes meurent, qui avait remporté le César du meilleur court métrage en 2021. Il s’agit d’une forme de science-fiction d’idées plutôt que de spectacle. S’il est certainement question, quelque part, d’invasion, de fin du monde ou de puissance extra-terrestre, la forme exacte de la force ou de l’entité et ses intentions restent obscures, mystérieuses… et le public est conduit à avancer à tâtons, comme marchant en repérant les quelques miettes avec lesquelles la réalisatrice trace le chemin jusqu’à Khouribga, la destination finale d’Itto.
Son voyage surréaliste devient alors une allégorie de nos voyages à la recherche de la vérité et du sens.
Tout commence par des phénomènes météorologiques étranges. Puis les animaux commencent à se comporter bizarrement. Dans un village, un chien qui s’est pris d’affection pour Itto a piqué un oiseau, qui l’a ensuite suivie pendant qu’elle prenait l’ascenseur jusqu’à l’arrêt suivant. Elle remarque ensuite que les gens commencent à changer – avec leurs yeux vitreux et leurs sourires béats, ils ne semblent pas menaçants, mais tout cela est très troublant. En l’absence du dieu qu’elle a toujours prié, voici la preuve de l’existence de quelque chose de bien plus grand qu’elle, que tout le monde. Mais s’agit-il de quelque chose de divin ? Ou quelque chose d’encore plus ineffable ?
Sofia Alaoui décrit Animalia comme « une odyssée humaine, une ode à la nature et un questionnement sur la place de l’homme dans ce monde complexe. J’ai voulu questionner, dit-elle, nos certitudes et nos croyances, qui nous bloquent dans une pensée unique. C’est pour moi très actuel, vu les bouleversements que nous vivons aujourd’hui à l’échelle planétaire. Ce projet a vu le jour, lorsque je suis revenu au Maroc, le pays où je suis née après avoir vécu et voyagé à l’étranger pendant très longtemps. J’ai été confronté au poids de la religion, des classes sociales et du rapport fou à l’argent qui émergeait. Un deuxième dieu dans cette société arabe capitaliste moderne. Et en même temps, j’étais complètement obsédée par des questions métaphysiques : la vie extraterrestre, l’univers etc … J’ai fait mon court-métrage en expérimentant une méthode de réalisation, en utilisant le surnaturel pour interroger profondément ma société et mes personnages. »
Ce puzzle spirituel est une petite merveille visuelle. Les compositions précises et symétriques de Noé Bach, presque hyperréalistes, éblouissent, que ce soit dans la grande décadence de la maison d’Armine, la majesté escarpée du désert marocain ou le moment décisif du film : la communion psychédélique d’Itto avec la force surnaturelle qui ouvre sa perception à la manière d’Huxley dans Le meilleur des mondes.
Après avoir pénétré dans cette « tempête céleste », elle fait l’expérience d’une renaissance spirituelle, et tout son système de croyances s’effondre.
Grâce à cette incursion dans les paysages intemporels du cosmos, Itto apprend que l’univers a de multiples facettes et que le monde physique n’est qu’une partie d’un ensemble plus vaste. L’actrice interprète si bien cette scène difficile… ses yeux immenses et expressifs traduisent une épiphanie subtile et sa posture change avec assurance.
Alors, bien sûr, le sens ultime de tout cela reste un mystère. Tout ce que nous savons, c’est qu’être de retour dans le giron de son mari et de sa famille ne suffit plus, pas plus que de faire partie des milliers de personnes qui se pressent à la mosquée de la ville en priant pour obtenir des réponses. Il pourrait être frustrant de ne pas avoir de réponses, mais c’est peut-être là la grande réussite de Sofia Alaoui.
Car Animalia est rempli de réflexions philosophiques sur le temps et notre place dans l’univers, sans jamais nous donner de réponses à la petite cuillère. « Quand j’étais jeune, j’étais fascinée par le pouvoir de l’image, la symbolique dans un film, explique la cinéaste dans sa note d’intention. Accepter l’inacceptable, et laisser la pensée décanter afin de comprendre ou pas certaines clés du film. J’aime l’idée que dans un film, rien n’est laissé au hasard et que par l’image, ses décors, sa musique, son univers, le sens profond apparaisse. » C’est exactement ce qu’elle parvient à proposer au travers de ces questions soulevées tout au long du récit. Et puis, ensuite… que celui a des yeux et des oreilles…