Avec L’amour qu’il nous reste, Hlynur Pálmason opère un virage sensible, après l’austérité épique de Godland. Il se plonge dans la matière délicate de l’intime et du quotidien. Le film suit un couple séparé qui continue pourtant de coexister au sein d’une famille recomposée autour de leurs trois enfants. Sur une année, rythmée par les saisons, Pálmason ne cherche pas à dramatiser la séparation, mais à révéler ce qu’il en reste. Il filme les gestes partagés, les regards, les silences et les petites routines qui font encore famille.
Anna, en pleine séparation, n’est pas la seule en quête de sens. Son cheminement se juxtapose à celui de Magnus, son ex-conjoint, pêcheur, le père de ses trois enfants. Magnus a du mal à comprendre ses propres sentiments. Il se sent également exclu du quotidien de la famille. La vie qu’il s’était construite a volé en éclats. Pourtant, il s’y accroche de toutes ses forces.
La poésie fragile d’une séparation silencieuse
D’emblée, le réalisateur installe une poétique du familier et de l’étrange. Un plan marquant, totalement muet, montre le toit d’une maison arraché comme la métaphore puissante de la dislocation imminente. Ce n’est pas là un simple effet narratif mais l’une des nombreuses images symboliques que Pálmason disperse dans son récit pour traduire l’usure du couple et l’intensité des liens persistants. Le quotidien de cette famille islandaise – entre promenades, repas et jeux avec un chien et un coq menaçant – devient le cœur du récit. La séparation est peu dite, mais subtilement suggérée. On perçoit les absences de Magnus lorsqu’il part en mer, la frustration d’Anna face à un galeriste pédant, l’équilibre fragile entre complicité et détachement. Pálmason alterne des scènes très directes avec des touches presque oniriques – un avion qui s’écrase, un coq géant dans une chambre – qui poursuivent l’exploration de l’imaginaire et des désirs refoulés des protagonistes.
La nature comme témoin sensible
La nature, omniprésente, n’est pas un décor neutre mais un interlocuteur du film. Elle est filmée en gros plan, des myrtilles aux lichens, et sert de contrepoint apaisant ou troublant aux émotions humaines. Elle illustre aussi la fluidité d’un cinéma que Pálmason veut « en mouvement permanent, comme de l’eau », entre beauté et laideur, absurde et comique, tendresse et mélancolie. Les performances sont d’une remarquable sobriété. Saga Garðarsdóttir et Sverrir Gudnason incarnent Anna et Magnus avec une fragilité discrète, sans excès ni pathos, et les trois enfants – qui sont les propres enfants du réalisateur – confèrent une vérité rare aux interactions familiales.
Ce qui frappe chez Pálmason, c’est sa capacité à renouveler le genre du film de famille en crise sans recourir à des démonstrations dramatiques convenues. Plutôt que le conflit frontal, il explore l’usure du regard, les affects diffus, les moments de grâce qui subsistent malgré tout. Les saisons qui passent, les éléments naturels mouvants et les moments de tendresse banale – un dîner, une randonnée, un après-midi à traîner sur un canapé – tissent un portrait doux-amer d’une famille qui ne s’effondre pas mais se réorganise.
L’amour qu’il nous reste devient une forme de méditation cinématographique sur la persistance de l’amour, non pas comme un feu flamboyant, mais comme une présence diffuse et résiliente dans le quotidien. Le film touche par la délicatesse de son regard, sa liberté formelle et son humour à froid, faisant de l’ordinaire une matière cinématographique riche et subtile.
