Voyage, Voyage de Desireless, sorti en 1986, et entendu à trois reprises dans Compartment n° 6 de Juho Kuosmanen donne le ton. C’est là que nous sommes conviés. Dans un voyage pas banal, où un train devient le lieu de confinement et de rencontre avec l’inconnu, et la porte à une transformation. Une romance ferroviaire loin des clichés glamour possibles qui devient ici parabole.
Une jeune finlandaise prend un train à Moscou pour se rendre sur un site archéologique en mer arctique. Elle est contrainte de partager son compartiment avec un inconnu. Cette cohabitation et d’improbables rencontres vont peu à peu rapprocher ces deux êtres que tout oppose.
Cette insistance sur la chanson Voyage, voyage n’est pas anodine. Elle permet de nous replonger indirectement dans ces années 80-90 sans besoin de le spécifier. Une sorte de mise en abyme sonore qui offre aussi d’autres ouvertures naturelles. Les paroles de la chanson soulignent en effet le thème général du film, à savoir que le voyage, aussi banal soit-il, est tout autant un processus intérieur. Compartiment n°6 utilise là les codes traditionnels du road movie, avec l’idée d’une errance géographique qui devient reflet d’un voyage intérieur, la route comme révélateur de la découverte de soi. Un voyage fait naturellement de rencontres… partir vers l’inconnu prêt à se confronter à l’autre, quel qu’il soit ! Et dans ce compartiment de train exigu, la rencontre avec l’autre prend une forme intrusive inévitable et pas forcément simple à accepter ou supporter. Enfin, Voyage, voyage fait vibrer les synapses d’une manière agréable et familière, facilitant l’entrée du spectateur dans un film qui, autrement, prend un certain temps à se mettre en place, comme d’ailleurs certaines relations peuvent nécessiter du temps pour se dégeler.
Seidi Haarla joue le rôle de Laura, une étudiante finlandaise vivant à Moscou avec son amante, professeure de littérature plus âgé, mais si Laura a effectivement une place dans son lit, ce n’est plus vraiment le cas dans sa vie. Elle se retrouve ainsi poussée à monter dans un train de Moscou à Mourmansk, dans les hauteurs du cercle polaire, soi-disant pour explorer les célèbres pétroglyphes de la région. Mais nous comprenons rapidement que tout cela n’était qu’un stratagème pour la larguer… Partir c’est mourir un peu, mais ce peut-être aussi l’occasion parfois d’une résurrection. Car sans le même wagon se trouve Vadim (Yuriy Borisov), un ouvrier à la vie dure qui essaye de tromper l’ennui de ce voyage grâce à quelques bouteilles de gnôle ou de vodka. Évidemment, Laura est sur ses gardes, mais cela change avec le temps. Nous savons tous où va ce train, le tout est de savoir comment il y arrive. Une sorte de mise en situation de ce qu’aurait dit Confucius : Tous les hommes pensent que le bonheur se trouve au sommet de la montagne alors qu’il réside dans la façon de la gravir. Un film qui nous rappelle aussi que les apparences sont parfois trompeuses, et qu’il vaut mieux s’en méfier.
Compartiment n°6 est sans doute une histoire simple, modeste, mais où la dimension parabolique l’emporte et devenir extrêmement puissante et riche. Il devient un véritable beau moment de cinéma qui, je l’espère, saura émouvoir le Jury pour trouver place dans le palmarès. C’est un film qui pourrait aussi sensibiliser le Jury œcuménique présent pour remettre un prix dans la Compétition à partir de critères qui auront là possiblement des connexions possibles et intéressantes. Juho Kuosmanen nous démontre une fois encore, après son premier long métrage Olli Mäki (qui avait reçu en 2016 le prix Un Certain Regard à Cannes), qu’il est un cinéaste tendre, humaniste, qui sait proposer ce que certains aiment appeler « des petites histoires avec un grand cœur ».