Avis d’historien, les Jeux olympiques ont bien changé. Interrogé par Midi libre, Éric Perrin-Saminadayar, professeur d’histoire et d’épigraphie du monde gréco-romain, rappelle que, pendant l’Antiquité, le rite de l’allumage de la flamme olympique n’existait pas. Contrairement aux images diffusées dans le monde entier, mardi 16 avril, à l’époque, aucune grande prêtresse n’allumait une flamme à l’approche des JO. D’ailleurs, aucune flamme n’était transmise de relayeur en relayeur pour aller d’un point A à un point B.

La flamme olympique est “une invention de l’ère moderne, lors des JO d’Amsterdam en 1928. À Olympie, le feu n’était allumé que pour les sacrifices effectués en préambule des épreuves sportives”, confirme le Montpelliérain, également directeur de la faculté des sciences humaines et des sciences de l’environnement à Paul-Valéry. Comme il le rappelle au quotidien, dans l’Antiquité, les Jeux olympiques étaient une célébration religieuse. “Le temps consacré au culte excédait d’ailleurs celui consacré au sportif”, précise-t-il.

L’essentiel était de gagner

Ce n’est pas l’unique différence entre les JO modernes et les Jeux antiques. À l’origine, “l’essentiel n’était pas de participer, mais de gagner pour montrer qu’on venait d’une cité puissante. Les vainqueurs avaient droit à des honneurs équivalents à ceux qu’on donnait aux dieux, allant même jusqu’à abattre des murailles pour les faire entrer dans la cité”, illustre l’historien. Alors qu’avec les Jeux paralympiques, les JO d’aujourd’hui sont devenus inclusifs, ceux d’Olympie étaient ceux de l’exclusion. Non seulement ils étaient réservés aux Grecs, mais ils l’étaient aussi aux hommes. Plus tard, une exception a été faite pour les Romains, ajoute l’historien.

Le spécialiste précise ensuite que la création du “concours” repose sur un mythe. “Celui d’un roi local, Oenomaos, qui avait promis de marier sa fille à quiconque le battrait dans une course de chars dont le vaincu était mis à mort”, raconte-t-il. Mais l’attelage du roi était invincible, si bien que les prétendants étaient tous tués. Le scénario se reproduisit “jusqu’à ce que le jeune Pélops séduise au préalable Hippodamie, la fille d’Oenomaos, qui lui donna des atouts pour battre son père, avec l’aide du dieu Poséidon”, ajoute l’historien. Pélops est sorti vainqueur de son duel et a décidé d’organiser “un grand concours à Olympie pour expier son crime”.

Déjà une trêve olympique

Une autre tradition attribue au héros Héraclès de l’Ida la création des Jeux. Seule certitude, les premiers ont eu lieu en 776 avant Jésus-Christ, dans un sanctuaire dédié à Héra puis à Zeus. Connu depuis la fin du IIe millénaire avant Jésus-Christ et situé au pied du mont Cronion, le site abritait un bois sacré. L’historien explique aussi que les premiers Jeux ont été disputés dans un stade dépourvu de gradins ou de talus, devant de rares spectateurs.

Pourtant, ils marquèrent un tournant dans l’histoire de la Grèce. “Ils servent un peu d’année zéro, comme Jésus-Christ pour les chrétiens. Avant, pour eux, c’est la préhistoire. Cette période coïncide avec le moment où les Grecs commencent à explorer la Méditerranée, où l’écriture est réinventée avec l’alphabet grec, où une espèce d’identité se crée et les concours en font partie intégrante”, détaille l’historien. Entre 300 et 500 concours voient le jour, dont quatre dominants. Ils ont lieu à Olympie, Corinthe, Delphes et Némée et forment une sorte de circuit du “Grand Chelem”.

Dans l’Antiquité, la notion de trêve olympique existe. Mais là encore, elle ne ressemble pas vraiment à celle d’aujourd’hui. Elle s’applique uniquement aux sportifs, pèlerins et suiveurs. Ils sont autorisés à traverser des terrains hostiles, mais les combats continuent. “Cette année, la guerre en Ukraine ne va pas s’arrêter davantage”, commente Éric Perrin-Saminadayar, qui ne croit pas trop que la pratique sera respectée. L’historien rappelle qu’autrefois “les athlètes avaient l’obligation d’être sur place un mois avant le début des épreuves”. Cela leur permettait de s’entraîner, mais ce délai permettait également aux juges de classer les athlètes par catégories. En effet, autrefois, il existait une compétition réservée aux jeunes.

Des Jeux jugés païens

Et comme toute fête religieuse d’alors, les Jeux commençaient par une procession. Longue de 35 km, elle partait d’Élis. Une centaine de bœufs parcouraient également le trajet les menant vers le lieu de leur sacrifice : le sanctuaire d’Olympie. “Il n’y avait pas de podium ni de classement, seulement un vainqueur par épreuve. Les athlètes sacrés ne touchaient aucune somme, mais recevaient une couronne d’olivier et une bandelette de lin ou de laine qu’ils pouvaient accrocher au temple consacré aux dieux”, décrit l’historien.

En 393, cette dimension religieuse poussa l’empereur romain Théodose Ier  à interdire les Jeux, qu’il considérait comme païens. En 426, le site d’Olympie fut même détruit et enseveli. Il n’a été redécouvert qu’au XVIIIe siècle.

Des Jeux toujours universels

L’idée de faire renaître l’esprit du sport a vite germé. “La première tentative date de 1796-1798, pendant la Révolution française, avec l’Olympiade de la République, qui dura trois ans”, confirme l’historien. La deuxième a eu lieu en Angleterre. Quant à Pierre de Coubertin, il voulait “d’abord mettre en avant des sports plutôt aristocratiques […] comme le tennis, le tir, l’escrime puis le golf, l’aviron, la voile, l’équitation”, poursuit-il.

Les JO modernes se sont peu à peu démocratisés, et les cinq anneaux ont remplacé les sacrifices. Mais comme le souligne l’historien, les JO se “sont réinventés comme un moyen de rapprocher les peuples dans un moment où l’Europe était en tension, au bord de la guerre de 14-18, le tout sur fond d’empires coloniaux”. S’il ajoute que le côté universel perdure, la dimension politique rattrape encore très vite celle du sport. Le cas de la guerre en Ukraine n’illustre que trop bien son propos.