• L’hommage d’un autre JLG… Jean-Luc Gadreau, pasteur, journaliste, critique ciné sur Regards protestants, responsable éditorial sur France Culture.

Né le 3 décembre 1930 à Paris, Jean-Luc Godard grandit dans un milieu bourgeois protestant, entre la France et la Suisse.
Avec son grand-père, Julien Monod, le petit garçon aime parler de la Bible. « Je me souviens, racontait-t-il, lorsque j’allais à l’Oratoire à Paris avec mon grand-père, et qu’on parlait après du sermon, comme en revenant d’un match.[1] »

Une culture protestante intense animera ainsi le jeune enfant. Mais impossible d’enfermer Godard, pas d’annexion possible, comme l’expliquait le pasteur André Dumas dans un remarquable article d’un supplément des Cahiers du Cinéma[2], on devrait plutôt y voir une forme d’imprégnation[3] subtile. Ce Dandy débonnaire, romantique impulsif, mais aussi implacable séducteur, restera un être aux multiples paradoxes. Cette indépendance de l’irrespect qui s’exprime en lui et dans sa création, notamment dans un iconoclasme franc, qu’observe André Dumas, et qu’il juge attachant chez Godard car, finalement, assez typique d’un protestant.

C’est ainsi, par exemple, qu’en 1985, il réalise Je vous salue Marie, le film le plus rigoureusement théologique de toute l’histoire du cinéma aux yeux du pasteur Dumas. Godard y revisite l’histoire de Marie en s’inspirant du livre de Françoise Dolto et Gérard Severin, L’Évangile au risque de la psychanalyse, et en la transposant dans le monde contemporain.

Ce film provoqua à sa sortie un scandale. Le pape Jean-Paul II déclara qu’il « détournait et offensait le sentiment spirituel et le sens historique des valeurs fondamentales de la foi chrétienne ». Pour Jean Lods, de l’association protestante de cinéma Pro-Fil, c’était au contraire l’expression d’un « refus d’enfermer les textes bibliques dans la salle blanche et dépoussiérée de la sacralisation. Il se manifeste comme la volonté de les interroger pour en extraire un sens neuf et de les confronter avec d’autres affluents de l’esprit humain »[4].  Certainement là, une manière de voir qu’avec le protestantisme, les représentations du christianisme sont éloignées des représentations « catholiques » traditionnelles et dénotent une approche libre des textes bibliques et des symboles chrétiens.

Autre film notable où cette imprégnation biblique peut être repérée, Nouvelle Vague (1989) où André Dumas aime y voir un clin d’œil vers la résurrection de Jésus-Christ sous les traits d’un Alain Delon mourant noyé dans le Lac Léman pour revenir à la vie – véritable baptême d’où jaillit une nouvelle naissance qui produit des effets sur les témoins convertis de sa vie.

Mais s’il fallait ressortir un élément récurent dans son travail, plus globalement, ce serait peut-être pour moi une certaine quête constante de vérité, avec toute la subjectivité qui nécessairement l’accompagne, et des racines à trouver au cœur d’un terreau biblique enfoui profondément en lui.

Il dira un jour dans une interview : « Je ne suis pas une personne religieuse, mais je suis une personne qui a la foi. Je crois aux images. Je n’ai pas d’enfants, seulement des films. » Des mots qui, comme souvent avec lui, peuvent nous donner à interpréter… librement.

Godard a influencé toute une génération de réalisateurs, notamment Quentin Tarantino, qui a déclaré : « Godard a été si influent pour moi… C’est Godard qui m’a enseigné le plaisir, la liberté et la joie de briser les règles… et de jouer avec le médium dans son ensemble. Je considère que Godard est au cinéma ce que Bob Dylan est à la musique ». Une bien belle analogie à mes yeux pour conclure, en évoquant Dylan, qui résume sans doute tout…

[1] Godard, par Jean-Luc Douin, Ed Rivages, Paris, 1989, p.10
[2] Les Cahiers du cinéma « spécial Godard – 30 ans depuis », supplément au n°437, novembre 1990
[3] Pénétration diffuse et profonde dans l’esprit et le comportement d’idées ou de sentiments qui sont lentement assimilés.
[4] Je vous salue, Godard : Le protestantisme dans « Je vous salue, Marie » de Jean-Luc Godard, Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français (1903-2015) Vol. 154, Protestantisme et cinéma français (Avril-Mai-Juin 2008), pp. 235-246


Deux questions à Philippe François, pasteur de l’UEPAL

Philippe François, vous avez consacré trois chapitres à Jean-Luc Godard de votre thèse de doctorat qui traitait de l’idée de télévision protestante. Qui est pour vous ce Godard calviniste ?

C’est d’abord une histoire de famille tout ce qu’il y a de plus protestante. Jean-Luc Godard, baptisé et confirmé au sein de l’Église reformée, est issu d’une grande famille « calviniste » par sa mère, Odile née Monod. C’est ainsi par exemple que Théodore Monod, le naturaliste, est son grand-oncle.
Le jeune Jean-Luc allait de temps en temps au culte à la paroisse parisienne de l’Oratoire du Louvre avec son grand-père Julien Monod. Au-delà de l’adolescence et de son passage chez les Louveteaux, son protestantisme s’est dissous dans la politique, en particulier lors de sa sinistre période maoïste (1967-1973). Des choses ont fini par être écrites sur le Godard protestant, mais les traces de son protestantisme ne représentent vraiment pas grand-chose rapportées à l’ensemble de son œuvre critique, cinématographique, vidéo et littéraire.

Comment le pasteur que vous êtes observe-t-il le travail de Godard ?

Certains (dont je suis) considèrent (avec un peu d’humour quand même) que le meilleur de Godard se trouve dans ses interviews. Le Godard pédagogue, sorte de professeur de cinéma, critique comme dans « principe critique » qui caractérise la théologie des Réformateurs, livre des analyses très éclairantes, soit en comparant deux films entre eux, image par image, soit en opposant télévision (qui produit de l’oubli) et cinéma (qui produit des souvenirs).

Je me suis servi de cette dernière comparaison pour rédiger cette thèse de doctorat consacrée à L’idée de télévision protestante (1996) où je suggérais que pour imaginer des émissions destinées au créneau horaire réservé au protestantisme, il était pertinent voire performant de se référer au cinéma, et en particulier à la période de la Nouvelle Vague. Il y a, chez le Godard tardif, en plus de l’aspect professoral, quelque chose du prédicateur, voire du prophète, dont tout pasteur pourrait s’inspirer, au moins au plan formel.

Et s’il fallait retenir un film « protestant » dans sa longue filmographie, je citerai Nouvelle Vague (1990) où Alain Delon joue un personnage que l’on pourrait qualifier de christique plutôt que le désastreux Je vous salue, Marie (1985) œuvre théologiquement confuse, d’un panthéisme assez affligeant.


Poème hommage de Philippe François

L’Ascension du saint Godard

Le jeune Jean-Luc et son grand-père Monod-théiste reviennent du culte au temple de l’Oratoire du Louvre en commentant la prédication comme un match de football.
Après la confirmation de son protestantisme, Jean-Luc se lie d’amitié avec François, le digne héritier d’une certaine tendance du cinéma et de la critique catholique d’avant-guerre.
Devenu cinéphile, Jean-Luc rédige de fausses interviews de cinéastes et des critiques de films dont il n’a vu que quelques minutes. Recherché par le puissant syndicat des cinéastes de qualité française tendance Vichy, il se cache derrière des lunettes noires de marque américaine et marche sur les mains pour convaincre une actrice célèbre de renoncer à la choucroute.
Devenu cinéaste politique, Jean-Luc au double nom d’évangéliste sera successivement coctoïste, truffoïste, belmondoïste, bardoïste, berthoïste, égoïste, maoïste, anti-malroïste, mcenroïste, pour finir vidéoïste.
Sa filmographie s’en ressent et Jean-Luc se fait désormais appeler JLG. A l’aide de la caméra-stylo conceptualisée en 1948 par son coreligionnaire Alexandre Astruc, JLG s’astreint à réaliser des films Monod-chromes rigoureusement théologiques pour les protestants et tout en prétendant ne pas l’être pour les catholiques.
Parallèlement, il enseigne aux jeunes cinéastes l’art de filmer un arbre ou Alain Delon. A une actrice qui lui exhibe sa cicatrice, JLG écrit une longue lettre lui annonçant son intention d’adapter pour la Télévision Suisse Romande les 9000 pages de la Dogmatique de Karl Barth, en 25 épisodes. Mais la retraite sportive de Boris Becker le fait renoncer.
Traversant une grave crise mystique renforcée par son professionnalisme plus Rolle que rock et la découverte fortuite de l’ascendance huguenote de Charlie Chaplin, et alors qu’il se promène sur les bords boueux du lac de Genève, JLG est enlevé au ciel le 13 septembre 2022 dans une Ferrari 308 GTB jaune – de la couleur des premières couvertures d’une célèbre revue de Cinéma.

Sur la disparition de Jean-Luc Godard, lire aussi : Jean-Luc Godard, un protestant d’images