Jean-Luc Godard était par sa mère un Monod. Adolescent taraudé par la question de la Loi, il avait l’habitude de voler son grand-père : bibelots, billets de banque, enfin livres de prix qu’il revendait chez Gallimard – on restait de la sorte en famille spirituelle – jusqu’à ce que le libraire prévienne le grand-père. Est-ce le manque d’amour ou son contraire, un excès de passion maternelle, puits sans fond de pardons quelles que fussent les fautes, qui le poussait à se comporter de cette façon ? Toujours est-il qu’assez jeune, enivré pourtant de littérature, Godard a plongé dans le ventre protecteur de la cinéphilie.

Cette matrice lui a donné la vie, la vraie, celle que l’on se raconte et que l’on raconte aux autres, un échange, un jeu de don, de contre-don – comme on parle de danse et de contre-danse. Il y fit connaissance d’un autre garnement qui devint son frère de fauteuil, puis de combat, François Truffaut. Mais à l’inverse du petit gars du neuvième, Godard a d’emblée fabriqué des images contrariées.

Cinéaste et protestant, cela tient de l’oxymore. Au plus haut degré Jean-Luc Godard a tenu le rôle de l’iconoclaste.

Au début de sa carrière, il fut porté, dans cette entreprise exceptionnelle, par un chef opérateur de génie, Raoul Coutard, et par une monteuse non moins talentueuse, Agnès Guillemot. Mais c’est bien lui qui, jusqu’à ses derniers films a trituré la représentation du monde.

Après avoir ouvert les fenêtres du noir et blanc, jouant sur les nuances de gris jusqu’au vertige dans « A bout de souffle », Godard a multiplié les expériences de couleurs. Il a de surcroît déconstruit les narrations, les dialogues, déstabilisé les conventions. Et ces deux formules qui demeurent : « Une image juste, juste une image », « un travelling est une affaire de morale ».

A bien des égards exigeant, le cinéaste avait aussi une face sombre qui l’a conduit du côté des extrémismes politiques, aux lisières du révisionnisme lorsqu’il s’exprimait sur la Shoah et émettait des doutes sur la réalité de l’extermination.

A sa manière buissonnière, Agnès Varda, autre cinéaste protestante, a su la juste mesure des choses, teintée d’humour et de fantaisie. Jean-Luc Godard, l’écorché vif de Rolle,a jusqu’au bout refusé tout compromis, qu’il assimilait à la compromission.

La postérité fera le tri. Mais le fabuleux triptyque, « A bout de souffle », « Le Mépris », « Pierrot le fou » célèbre la beauté du monde. Pour l’éternité.

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