Le jeune réalisateur norvégien Halfdan Ullman Tøndel, petit-fils du mythique Ingmar Bergman et de l’iconique Liv Ullmann, fait une entrée fracassante dans le monde du cinéma avec La Convocation. Ce premier long-métrage, initialement présenté sous le titre Armand lors de sa sélection à Cannes où il a remporté la Caméra d’Or (meilleur 1er film), est un thriller oppressant qui ausculte la fragilité des certitudes et la puissance des non-dits.

Lorsqu’un incident se produit à l’école, les parents des jeunes Armand et Jon sont convoqués par la direction, mais tout le monde a du mal à expliquer ce qu’il s’est réellement passé. Les récits des enfants s’opposent, les points de vue s’affrontent, jusqu’à faire trembler les certitudes des adultes.

Dans une école cossue mais décrépite, dont l’architecture même semble raconter un passé trouble, l’histoire se resserre autour d’une réunion de parents d’élèves convoqués à la suite d’une accusation grave : Armand, un garçon de six ans, aurait commis un acte inqualifiable sur un camarade. Sa mère, incarnée par l’extraordinaire Renate Reinsve, se retrouve confrontée à une situation aussi intenable qu’angoissante, alors que les versions s’opposent et que la vérité semble insaisissable.

Un huis clos haletant et anxiogène

Dès les premières minutes, la mise en scène de Tøndel impose un climat d’oppression. La photographie granuleuse du 16mm et le travail sonore millimétré transforment les moindres bruissements en détonateurs d’angoisse. À l’image d’un puzzle qui se construit lentement, le film révèle ses indices au compte-gouttes, laissant le spectateur s’enfoncer dans une incertitude croissante.

Si la narration joue avec nos attentes, c’est avant tout grâce à la précision chirurgicale du réalisateur, qui évite tout manichéisme pour préférer une exploration subtile de la psyché humaine. Les personnages, tous plus complexes les uns que les autres, incarnent les doutes et les peurs d’une société où l’image de l’innocence et de la culpabilité vacille au gré des perceptions subjectives.

Une performance magistrale de Renate Reinsve

Dans le rôle de cette mère désemparée, Renate Reinsve livre une prestation fascinante, oscillant entre fragilité et détermination. Déjà récompensée du prix d’interprétation féminine à Cannes en 2021 pour Julie (en 12 chapitres), son personnage, Elisabeth, porte ici le poids d’une vérité insaisissable et d’une société prompte à juger. Une scène en particulier, où elle éclate d’un rire nerveux et incontrôlable face à l’absurdité de la situation, devient un moment de bravoure qui illustre à merveille la tension psychologique du film.

Si La Convocation s’inscrit avant tout dans le thriller psychologique, il flirte à plusieurs reprises avec le surnaturel. Certains passages, notamment des scènes de danse quasi oniriques, rappellent les errances hallucinatoires de Suspiria ou la poésie macabre d’un David Lynch. Ce glissement progressif vers l’irréel ne fait qu’accentuer le malaise ambiant et renforce l’idée que la vérité, dans ce huis clos suffocant, est peut-être inaccessible. Une thématique qui pourrait très bien aussi s’envisager à la lumière du questionnement à Jésus que propose Pilate dans un face à face déterminant. La vérité qui, dans l’Évangile selon Jean, se propose comme un terme englobant, se définissant et se déployant à différents niveaux, comme une expression de l’être même de Dieu.

Un film en résonance avec notre époque

Au-delà de son esthétique impeccable et de sa mise en scène immersive, La Convocation soulève des thèmes universels et contemporains : la présomption d’innocence, la pression sociale, la peur des responsabilités parentales. En refusant d’apporter des réponses tranchées, Tøndel nous confronte à nos propres biais et nous invite à la réflexion.

Avec ce premier long-métrage d’une maturité impressionnante, Halfdan Ullman Tøndel s’impose déjà comme une voix singulière du cinéma nordique. La Convocation est une expérience sensorielle et intellectuelle à ne pas manquer, un film qui trouble autant qu’il fascine. Un coup de maître pour un premier film, et sans doute le début d’une carrière prometteuse.