Adapté du roman à succès de Paulette Jiles, La Mission se déroule cinq ans après que la guerre civile américaine ait déchiré le pays, alors que les États du Sud sécessionnistes ne digèrent pas encore leur entrée dans l’union, et que le traité de Medecine Lodge Creek maintient une paix très précaire avec les tribus Kiowas. La mission se place dans une période particulièrement troublée de l’histoire d’un pays alors profondément divisé, violent, laissant encore pour compte toute une partie de sa population.
Dans ce contexte, le capitaine Jefferson Kyle Kidd (Tom Hanks) voyage de ville en ville en lisant des journaux et en racontant des histoires de présidents, de reines et de catastrophes naturelles pour divertir une population fatiguée par la guerre et avide d’informations et de divertissement. L’écoute ne coûte qu’un cent, mais ce bref répit vaut une fortune. Lors d’un arrêt quelque part au Texas, Kidd croise le chemin d’une fillette de 10 ans abandonnée, appelée Johanna (Helena Zengel) par sa famille biologique, mais rebaptisée plus tard Cicada par la tribu des indiens Kiowa qui l’a enlevée et élevée comme l’une des siennes. Prudente et hostile aux étrangers, Johanna finit par s’adoucir face à Kidd, alors que les deux s’entendent sur un moyen de communication rudimentaire. Réalisant qu’un simple chariot n’est pas l’endroit rêvé pour qu’un enfant grandisse, Kidd estime qu’il n’a pas d’autre choix que de rendre Johanna à ses seuls proches parents vivant près de San Antonio. Au fur et à mesure que le temps s’écoule – pas toujours tranquillement – il est finalement révélé que, malgré leurs différences, les deux ont subi de grandes pertes personnelles. Et leur voyage ensemble est peut-être le chemin qui les mènera à la guérison dont chacun d’eux a besoin.
Le western aurait cent vingt-deux ans. C’est en tout cas l’avis d’un certain nombre d’experts qui placent le court-métrage britannique Kidnapping by Indians comme première œuvre du genre. Plus d’un siècle d’existence donc et cette capacité, malgré tout, de continuer d’être toujours aussi passionnant et, étonnamment, aussi valable qu’au premier jour en termes thématiques et narratifs. Il ne fait pourtant aucun doute que, depuis 1899, les choses ont bien changé et le cinéma communément appelé « western » a évolué progressivement, élargissant ses horizons en dérivant vers des mutations comme le néo-western – Red Hill en 2010 (western australien) est essentiel pour comprendre cette tendance – et des hybridations étonnantes voire déroutantes avec des genres comme l’horreur, la science-fiction ou la comédie. Mais, au milieu de ce raz-de-marée d’expérimentations et d’actualisations, il y a encore de la place pour du pur classicisme en la matière qui nous ramène à l’époque des maîtres du genre : Ford, Mann, Walsh, Leone, Aldrich ou Hathaway. C’est précisément cet esprit qui porte La Mission, la nouvelle collaboration entre Paul Greengrass et Tom Hanks, après Captain Phillips en 2013, une production Universal destinée aux salles mais qui sort finalement sur Netflix, et qui condense dans un magnifique long métrage beauté, sensibilité, de l’action et de bonnes intentions, mais sans nul passéisme. Tout au contraire, La Mission se révèle d’une grande contemporanéité. Une histoire qui se situe dans une nation divisée, minée par des salopards de tous poils et des colporteurs de fake news. Ça vous rappelle des choses ? Mais, rassurez-vous, c’est aussi un scénario dopé à la résilience. Eh bien, savez-vous ? Tout ça fait beaucoup de bien de temps en temps et dans la période actuelle !
Paul Greengrass est l’un des cinéastes les plus politiquement engagés de son époque. Reconnu pour sa capacité à aborder des sujets difficiles tout en réalisant des films tendus et divertissants, il s’est penché sur le terrorisme en Irlande du Nord, la corruption dans l’armée ou le détournement du vol 93 de United lors des attaques terroristes du 11 septembre 2001. C’est aussi lui qui a réalisé deux épisodes intenses de la série des Jason Bourne, prouvant qu’il pouvait également diriger un film de studio à gros budget sans nuire à sa crédibilité ou à sa créativité. Dans tous les cas, ses films sont stimulants et sans compromis, mettant en lumière la condition humaine sous son meilleur – et parfois son pire – faisant sans doute de Greengrass l’un des cinéastes les plus inventifs et les plus convaincants d’Hollywood. À première vue, le trouver derrière La Mission pourrait paraitre surprenant mais c’est au contraire là une autre bien jolie carte qui vient s’ajouter à son jeu. Ici, le réalisateur britannique s’empare de deux immenses classiques, La Prisonnière du désert et True Grit pour les fusionner et les réadapter en quelques sortes, en 118 minutes impeccables dans la forme et le fond, exécutées dans un tempo lent et avec un traitement de l’image qui combine la spectacularité du plan général avec une tonalité ancrée dans l’intimité.
Grâce à la bienveillance unique transmise par le simple regard de Tom Hanks, à la performance époustouflante d’Helena Zengel (jeune comédienne allemande de 12 ans que l’on avait déjà adoré dans Benni) et à la relation tendre entre ses deux personnages, La Mission articule un discours à forte lecture sociale qui projette sur les États-Unis de l’après-guerre de Sécession les maux endémiques actuels tels que le racisme, les tensions, la division politique et la partisanerie des médias. Mais, comme déjà souligné, au cœur de ce sombre scénario, Greengrass et son équipe choisissent de jeter un regard optimiste, matérialisé par l’admirable photographie de Dariusz Wolski et la bande originale émouvante du maître James Newton Howard, le transformant en une ode délicate au pouvoir de la parole et à l’art du conteur décrit comme un créateur d’espoir et en même temps un agitateur de consciences. Il réfléchit ainsi précisément au rôle qu’ont tenu la presse et l’art du storytelling dans la cristallisation du rêve américain. Avec de fines allusions bien placées, le scénario nous invite donc à élargir notre regard, il nous sensibilise au pouvoir de la vérité et au danger des mensonges. Ce road trip est tout bonnement beaucoup plus profond qu’il n’y parait. C’est une histoire d’identité, de foyer, de l’importance de trouver un endroit auquel on appartient. Greengrass et son co-auteur Luke Davies injectent dans nombre de débats actuels des thèmes courageux qui trouveront une résonance toute particulière chez tous ceux qui espèrent guérir personnellement et plus globalement guérir de l’état actuel de notre monde.
La Mission n’est donc pas seulement un grand film, solide, beau et divertissant mais c’est aussi un petit rappel que, peu importe combien notre réalité change et combien elle peut être hostile, ce qui ne changera jamais sera notre volonté de raconter ou d’écouter des histoires. Et, en fin de compte, ces petites histoires – comme, par exemple, celle à laquelle nous avons ici affaire – seront celles qui nous donneront la force de continuer la route… et, très souvent, des outils pour guérir ensemble. Pour la petite histoire, Jésus, lui-même, l’avez bien compris, et ses paraboles continuent à faire tant de bien. On va donc sans hésiter sur Netflix car La Mission mérite clairement le détour en fonctionnant au plus haut niveau comme la très belle histoire de deux âmes perdues qui se retrouvent, mais aussi plus simplement comme un sacré bon western crépitant et sanguinolent.