Petite pépite venue du nord, en compétition de ce 77e Festival de Cannes, La Jeune femme à l’aiguille (Pigen med nålen) est un film d’époque en noir et blanc qui se situe à la fin de la Première Guerre mondiale. Un film surprenant, avec beaucoup d’élégance et une certaine poésie (malgré l’effrayant scénario), mais surtout franchement courageux et sans complexe.

Karoline (Vic Carmen Sonne), une jeune ouvrière, lutte pour survivre dans le Copenhague de l’après-guerre. Lorsqu’elle se retrouve au chômage, abandonnée et enceinte, elle rencontre Dagmar (Trine Dyrholm), une femme charismatique qui dirige une agence d’adoption clandestine, aidant les mères à trouver des foyers d’accueil pour leurs enfants non désirés. N’ayant nulle part où aller, Karoline prend le rôle de nourrice. Un lien fort se crée entre les deux femmes, mais le monde de Karoline s’écroule lorsqu’elle découvre la vérité choquante qui se cache derrière son travail.

Un conte pour adultes

En partie inspiré d’une sombre affaire criminelle danoise, La jeune femme à l’aiguille, réalisé par le suédois Magnus von Horn, est un récit troublant sur une femme qui lutte pour trouver l’amour et un certain sens moral, malgré des événements, des rencontres et des choix difficiles. Le cinéaste présente son film comme un conte pour adultes, y situant une pauvre femme vivant dans un grenier, un prince sur un cheval blanc qui s’avère être un lâche, un monstre sans visage mais avec un cœur d’or, et une sorcière dans un magasin de bonbons. Il faut savoir que les contes que nous racontons facilement aux petits sont en fait, dans leurs versions originales avant de passer par le filtre de Disney notamment, plus proche du film d’horreur que du récit gentillet écrit pour s’endormir au coin du feu. La fille à l’aiguille a cette même propension à éveiller l’effroi, mais avec élégance et même une certaine poésie.

Si l’histoire se déroule à la fin de la première guerre mondiale, c’est un regard lucide et sincère sur le passé qui est porté par Magnus von Horn à partir du point de vue de notre présent. Le sujet profond qui est questionné est toujours et encore proche de nous : les indésirables, et ce que nous devons en faire. Ces indésirables, ceux qui se situent dans la marge ou dans le caniveau peuvent prendre diverses silhouettes…

Savoir lire entre les lignes

Il y a dans cette histoire les pauvres, les plus petit socialement, les « pas beaux » et ceux qui portent un handicap, ceux qui sont sur la route ou dans un cirque, et parfois ceux tout simplement que nous ne voulions pas comme ce peut être le cas d’un bébé qui arrive sans être désiré. La liste évidemment peut s’allonger et précisons que ce film doit impérativement être vu dans une perspective qui choisit de lire entre les lignes, de voir et comprendre au-delà… Et dans ce rapport à l’autre se greffe si souvent, pour compliquer un peu plus la vie, le risque de se faire manipuler… car le bien peut paraitre mauvais et vice versa évidemment, sans oublier que celui qui est rejeté peut aussi devenir celui qui rejette.

Nous suivons donc Karoline dans son périple pour échapper à la pauvreté, où elle apprend qu’il est facile de flirter avec le diable, mais qu’il faut faire un gros effort pour aimer. Son mari ayant disparu à la guerre, elle vit une histoire d’amour humiliante qui débouche sur une grossesse non désirée. Pour une femme comme Karoline, la vie devient un véritable enfer – et avec ce film, pour reprendre les propos de von Horn, est alors « exploré la possibilité d’être bon en enfer ».

Magnus Von Horn apporte de la subtilité et de l’empathie à ce « conte thriller » redoutable dont on ne sort pas totalement indemne.

Et, pour que la mayonnaise prenne, il fallait naturellement de grandes interprétations, ce qui est le cas dans l’ensemble, mais surtout de la part de Vic Carmen Sonne absolument remarquable, utilisant les expressions de son visage comme une actrice de film muet (dans un noir & blanc), donnant un impact émotionnel extrêmement intense. Rendez-vous au palmarès !