Le chant des forêts, le sortilège des regards, et ces robes que l’on plaque aux murs, quand vient l’hiver, et que l’on appelle tentures, et puis encore les écuelles, des dents gâtées bien avant que de naître, la saison de la guerre et ses toutes premières fleurs… Eternité du Moyen Âge, qui nous semble à tout jamais perdu, mais dont nous sommes les héritiers.

L’historienne Claude Gauvard a choisi de lui consacrer sa vie de femme de science. Elle publie « Passionnément Moyen Âge », (Tallandier, 310 p. 21,50 €) un recueil d’articles parus dans la revue L’Histoire, qu’elle a relus, réunis, présentés comme on offre un bouquet de fleurs à l’amorce de l’automne.

« La notion de Moyen Âge est née du mépris des gens de la Renaissance, un mépris qui sévit toujours, bien que nos concitoyens se délectent des reconstitutions de fêtes médiévales, des élixirs prétendument médiévaux, des récits qu’ils imaginent inspirés par ce temps-là, nous a déclaré Claude Gauvard. Pourtant, si les recettes de cuisine que l’on nous propose n’ont aucun sens – on n’a jamais le poids qu’il faut, les matières premières qui conviennent et le juste goût des accommodements – le Moyen Âge survit en nous.»

Dans le domaine de l’art, tout le monde s’accorde à reconnaître la splendeur des églises romanes, des cathédrales gothiques. Mais d’autres lumières nous proviennent de cette époque lointaine.

« Abélard [1079-1142 NDLR] a repris la scolastique d’Aristote, nous explique Claude Gauvard. Il a fondé la dialectique, (la confrontation du pour et du contre, la synthèse) sur laquelle nous construisons toujours notre pensée. J’ajoute que les structures institutionnelles sur lesquelles nous nous reposons ont vu le jour au XIIème siècle : les notions de service public et de bien commun ont été mises en avant par les officiers de l’administration royale. Alors, certes, cette entreprise était freinée par l’existence de clans, par la vénalité, le népotisme – en particulier au sein de l’Eglise. Mais ces dérives n’ont pas empêché, du moins pas autant qu’on l’affirme, la qualité intellectuelle d’exister. »

Le saviez-vous ? Au Moyen Âge, la pratique de l’honneur était aussi importante parmi les paysans qu’au sein de la noblesse, la peine de mort n’était pas la sanction la plus courante et, si l’information circulait mal, on pouvait déceler, dans certaines circonstances, les prémices de ce que nous appelons l’opinion publique.

N’allez pas vous méprendre, Claude Gauvard n’a pas la nostalgie du Moyen Âge. Elle est une femme d’aujourd’hui, très heureuse de vivre libre en République. Mais, animée d’une bonne humeur que la rigueur scientifique ne contrarie jamais, cette éminente professeure invite à voir le Moyen Âge sous un jour plus juste. La lecture de son livre nous procure un grand plaisir et nous ouvre bien des fenêtres. Claude Gauvard affirme que la vulgarisation relève de l’ascèse. N’est-ce pas le mot d’une personnalité digne des altitudes?

Autre aventure, celle d’Henri Pirenne, dont Gallimard publie des œuvres choisies sous le titre « Histoires de l’Europe » (collection Quarto, 1504 p. 35 €).

C’est un océan véritable que ce volume : on y trouve une comparaison de Mahomet et Charlemagne, l’analyse du phénomène urbain depuis le Vème siècle jusqu’à la fin du Moyen Âge, un tableau formidable de notre histoire continentale. Plonger dans ces pages est un délice, tant la langue, limpide, élégante, porte la pensée au plus haut. Nous pourrions citer quelques phrases, mais ce serait réduire Pirenne à des esquisses, alors que son travail vise la fresque. Il cherche, sous les secousses politiques ou militaires, un gisement commun, la trace de qui nous constitue. Pirenne est mort en 1935 et chacun pourrait s’en aller tranquille, en songeant que c’est un autre temps. Mais ce serait faire fausse route. Les livres de Pirenne instruisent autant qu’ils ouvrent des pistes. Les responsables politiques feraient bien d’en prendre de la graine. La fréquentation des temps reculés donne à la pensée, à l’action même, une profondeur de champ qui vaut la connaissance des techniques managériales ou des pratiques de communication,

Le Moyen Âge, plus qu’une époque, est une saison. Flamboiement parmi les ruines d’un empire, il nous a transmis des secrets, mille trésors, en un mot des bontés. Bien sûr, au pied de la lettre imprimée la Réforme a vu le jour et nous ne saurions sans déchoir négliger cette aurore. Mais nous devons aimer aussi l’enfance de notre monde. Aux Dames du temps jadis, la patrie reconnaissante.