Iman vient d’être promu juge d’instruction au tribunal révolutionnaire de Téhéran quand un immense mouvement de protestations populaires commence à secouer le pays. Dépassé par l’ampleur des évènements, il se confronte à l’absurdité d’un système et à ses injustices mais décide de s’y conformer. A la maison, ses deux filles, Rezvan et Sana, étudiantes, soutiennent le mouvement avec virulence, tandis que sa femme, Najmeh, tente de ménager les deux camps. La paranoïa envahit Iman lorsque son arme de service disparait mystérieusement…
Mohammad Rasoulof, réalisateur iranien en exil
Cannes 2024 : une projection qui restera gravée dans les annales du Festival. La première du film Les graines du figuier sauvage, l’œuvre du scénariste et réalisateur Mohammad Rasoulof qui a fui l’Iran après avoir été condamné début mai à cinq ans de prison, des coups de fouet et la privation de ses biens pour « collusion contre la sécurité nationale ». Il a choisi l’exil, fuyant son pays par les montagnes empruntant une dangereuse route à travers les montagnes, pour rejoindre l’Allemagne, puis la France et la Croisette.
De tous les grands cinéastes iraniens de ces dernières décennies, il est certainement devenu le plus ouvertement politique.
Ses drames, toujours finement élaborés, dont le superbe Le diable n’existe pas, lauréat de l’Ours d’or à Berlin en 2020, n’hésitent pas à s’attaquer de front au régime oppressif et à la théocratie de son pays, décrivant sans ménagement une nation en état de siège.
« Femme, vie, liberté »
Mohammad Rasoulof canalise à la fois la vigueur de la jeunesse iranienne qui proteste contre son État répressif et théocratique et la violence que cet État exerce sur ceux qui osent se lever, dans une forme de thriller allégorique décrivant sans ménagement une nation en état de siège. Un récit qui se construit sur fond du mouvement « Femme, vie, liberté » qui secoue la République islamique depuis la mort de Mahsa Amini, cette étudiante d’origine kurde tuée par la répression des mœurs en 2022 parce qu’on lui reprochait d’avoir mal ajusté son voile et qui avait déclenché d’importantes contestations dans tout le pays. C’est du très grand cinéma tant sur le fond que sur la forme, je veux insister sur cela, car le prix spécial du Jury à Cannes pourrait laisser croire que c’est une récompense donnée surtout en raison du contexte politique… non, vraiment, le film est tout à fait magnifique !
Sujet éminemment fort, mise en scène, photographie, montage, musique, acting, tout est impeccable avec une tension permanente et un crescendo qui vous tient collé au fauteuil.
Une métaphore du pouvoir au sens large
Lorsque l’on parle d’allégorie ou de parabole pour ce scénario, cela repose en particulier sur un fait particulier qui déroute et ouvre à une compréhension du récit plus large. Dans Les graines du figuier sauvage la disparition d’une arme de service, qui pourrait sembler futile prend des proportions hallucinantes. Le réalisateur explique les choses ainsi : « Le régime iranien actuel ne reste au pouvoir que par la violence infligée à son propre peuple. Dans ce sens, le pistolet dans mon film est une métaphore du pouvoir au sens large. Elle permet également aux protagonistes de révéler leurs secrets, qui émergent progressivement, avec des conséquences tragiques.
… En Iran, depuis la révolution de 1979, on a des récits qui élèvent l’infanticide, le fratricide, la recherche du martyre, en valeurs quasi-religieuses, mus par le fanatisme et l’asservissement à une idéologie. La soumission inconditionnelle aux institutions religieuses et politiques au pouvoir a créé de profondes divisions au sein des familles. »
Figuier sauvage, ou « ficus religiosa »
S’y ajoute, plus subtilement encore le titre, ces fameuses graines de figuier sauvage. Le film commence précisément avec une explication qui pourra guider le spectateur. Les figuiers sauvages dont le nom scientifique est ‘ficus religiosa’ a un cycle de vie tout à fait particulier. Ses graines, contenues dans des déjections d’oiseau, chutent sur d’autres arbres. Elles germent dans les interstices des branches et les racines naissantes poussent vers le sol. De nouvelles branches surgissent et enlacent le tronc de l’arbre hôte jusqu’à l’étrangler. Le figuier sauvage se dresse enfin, libéré de son socle. Que celui qui a des oreilles entende…
Lors de la remise du prix à Cannes, la présidente du Jury œcuménique, Julienne Munyaneza, a motivé le choix de son Jury en ces termes : « Quand la religion s’associe au pouvoir politique et au patriarcat, elle peut détruire les relations les plus intimes et la dignité des personnes, comme l’incarne ce drame familial iranien. Le jury a été sensible à sa richesse symbolique, son dénouement généreux et porteur d’une note d’espoir, ses touches d’humour et sa tension déchirante. Sa subtilité et la sobriété de son écriture, tant dramaturgique que filmique, en font une métaphore de toute théocratie autoritaire. »
En tous les cas, voilà un Prix œcuménique qui ne manquera pas d’avoir une grande résonnance dans le monde, puisqu’il valorise une œuvre artistique totalement libre et éminemment politique à valeur parabolique ajoutée dénonçant notamment une gouvernance théocratique qui opprime.
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