Iman vient d’être promu juge d’instruction au tribunal révolutionnaire de Téhéran quand un immense mouvement de protestations populaires commence à secouer le pays. Dépassé par l’ampleur des évènements, il se confronte à l’absurdité d’un système et à ses injustices mais décide de s’y conformer. A la maison, ses deux filles, Rezvan et Sana, étudiantes, soutiennent le mouvement avec virulence, tandis que sa femme, Najmeh, tente de ménager les deux camps. La paranoïa envahit Iman lorsque son arme de service disparait mystérieusement…

Mohammad Rasoulof, réalisateur iranien en exil

Cette projection restera gravée dans les annales de Cannes, la première du film Les graines du figuier sauvage, l’œuvre du scénariste et réalisateur Mohammad Rasoulof qui a fui l’Iran après avoir été condamné début mai à cinq ans de prison, des coups de fouet et la privation de ses biens pour « collusion contre la sécurité nationale ».

Il a choisi l’exil, fuyant son pays empruntant une route dangereuse à travers les montagnes, pour rejoindre l’Allemagne, puis la France et la Croisette. « Quand je traversais la frontière, je me suis retourné, j’ai lancé un dernier regard à ma terre natale et je me suis dit ‘j’y retournerai », a raconté le réalisateur, invité jeudi soir sur le plateau de l’émission « C à vous ».

De tous les grands cinéastes iraniens de ces dernières décennies, il est certainement devenu le plus ouvertement politique. Ses drames, toujours finement élaborés, dont le superbe Le diable n’existe pas, lauréat de l’Ours d’or à Berlin en 2020, n’hésitent pas à s’attaquer de front au régime oppressif et à la théocratie de son pays, décrivant sans ménagement une nation en état de siège. Il a foulé ce vendredi après-midi le tapis rouge en tenant les photos de deux de ses acteurs, Missagh Zareh et Soheila Golestani, qui n’ont pas eu cette chance. Un moment forcément émouvant, à dimension politique certaine… mais c’est aussi et surtout un très grand film qu’il nous propose, qui pourrait tout à fait ravir la Palme d’or ce soir lors de l’énoncé du Palmarès.

« Femme, vie, liberté »

Mohammad Rasoulof canalise à la fois la vigueur de la jeunesse iranienne qui proteste contre son État répressif et théocratique et la violence que cet État exerce sur celles et ceux qui osent se lever, dans une forme de thriller allégorique décrivant sans ménagement une nation en état de siège. Un récit qui se construit sur fond du mouvement « Femme, vie, liberté » qui secoue la République islamique depuis la mort de Mahsa Amini, cette étudiante d’origine kurde tuée par la répression des mœurs en 2022 parce qu’on lui reprochait d’avoir mal ajusté son voile et qui avait déclenché d’importantes contestations dans tout le pays.

C’est du grand cinéma que nous livre Mohammad Rasoulof, tant sur le fond que sur la forme. Sujet éminemment fort, mise en scène, photographie, montage, musique, acting… tout est impeccable avec une tension permanente et un crescendo qui vous tient collé au fauteuil. Sans aucun doute, l’œuvre la plus puissante de ce 77e Festival, avec Emilia Perez de Jacques Audiard.

Lorsque l’on parle d’allégorie ou de parabole pour ce scénario, cela repose en particulier sur un fait particulier qui déroute et ouvre à une compréhension du récit plus large. C’est ici la disparition d’une arme, qui pourrait sembler futile mais qui prend des proportions hallucinantes. Le réalisateur explique les choses ainsi : « Le régime iranien actuel ne reste au pouvoir que par la violence infligée à son propre peuple. Dans ce sens, le pistolet dans mon film est une métaphore du pouvoir au sens large. Elle permet également aux protagonistes de révéler leurs secrets, qui émergent progressivement, avec des conséquences tragiques.

… En Iran, depuis la révolution de 1979, on a des récits qui élèvent l’infanticide, le fratricide, la recherche du martyre, en valeurs quasi religieuses, mus par le fanatisme et l’asservissement à une idéologie. La soumission inconditionnelle aux institutions religieuses et politiques au pouvoir a créé de profondes divisions au sein des familles. »

Figuier sauvage, ou « ficus religiosa »

S’y ajoute, plus subtilement encore le titre, ces fameuses graines de figuier sauvage. Le film commence précisément avec une explication qui pourra guider le spectateur. Le figuier sauvage dont le nom scientifique est ‘ficus religiosa’ a un cycle de vie tout à fait particulier. Ses graines, contenues dans des déjections d’oiseau, chutent sur d’autres arbres. Elles germent dans les interstices des branches et les racines naissantes poussent vers le sol. De nouvelles branches surgissent et enlacent le tronc de l’arbre hôte jusqu’à l’étrangler. Le figuier sauvage se dresse enfin, libéré de son socle. Que celui qui a des oreilles entende…