Samet est un jeune enseignant en poste en Anatolie orientale. Alors qu’il attend depuis plusieurs années sa mutation à Istanbul, une série d’événements lui fait perdre tout espoir. Jusqu’au jour où il rencontre Nuray, jeune professeure comme lui…
Le dernier chef-d’œuvre du célèbre réalisateur turc Nuri Bilge Ceylan (qui avait obtenu la Palme d’or à Cannes en 2014 pour Winter Sleep), est un portrait saisissant de la solitude et de l’aliénation dans un cadre rural. Grâce à une mise en scène soignée et à une narration introspective, Ceylan nous plonge dans la vie de Samet (Deniz Celiloglu), un jeune enseignant qui s’efforce de trouver un sens à son existence.
Dès les premiers instants du film, Ceylan instaure une captivante atmosphère de désolation. Samet marchant doucement dans la neige, entouré d’un horizon blanc sans fin, symbolise l’étrange sentiment d’isolement et d’austérité. Cette puissante et longue scène d’ouverture donne le ton du film et nous amène à réfléchir sur la condition humaine dans un environnement impitoyable.
Dans ces quelques 3h15 de film, le sentiment fort qui se dégage est une forme d’épuisement général. De ceux qui se sont battus obstinément pour les causes auxquelles ils croient, de ceux qui ont abandonné leur combat perdu d’avance, de ceux qui essaient simplement d’arriver au lendemain en un seul morceau, corps et âme… Ce n’est d’ailleurs pas le cas de Nuray (Merve Dizdar), une éducatrice, artiste et militante de gauche qui a perdu sa jambe dans une explosion, et qui est devenue enseignante d’anglais.
Parmi ces gens qui ressentent cette fatigue, il y a donc Samet, un professeur d’art, quelque peu cynique, qui retourne dans son petit village enneigé pour continuer son travail après les vacances scolaires ou, disons, pour y mettre un terme une fois pour toutes. Rêvant d’être transféré dans une école d’Istanbul, Samet est coincé à ce poste « obligatoire » depuis quatre ans, attendant avec impatience son départ qui se rapproche à grands pas. Il incarne la frustration et la désillusion de ceux qui se sentent piégés dans un environnement insatisfaisant. Son désir d’échapper à sa vie monotone et de retourner à Istanbul devient une aspiration universelle à un but plus significatif.
Son colocataire, Kenan (Musab Ekici), semble plus satisfait de sa situation dans cet endroit reculé au climat rude et aux réalités politiques injustement dures pour les populations kurdes de la région. Le film examine habilement les relations humaines et la complexité de la communication.
Le réalisateur nous montre que la solitude et l’isolement ne sont pas seulement le résultat de circonstances extérieures, mais aussi de nos propres barrières émotionnelles et de nos attitudes égoïstes.
La cinématographie est une petite merveille visuelle. Les couleurs froides et les plans serrés traduisent parfaitement le sentiment de désolation et d’isolement des personnages.
Ceylan utilise aussi avec intelligence les silences et les longs dialogues pour nous immerger dans la réalité de cet univers passionnel. Mais, malgré tout, il demeure comme un soupçon de sentiment que tout n’est pas totalement perdu, suggéré tout au long des magnifiques montages des clichés photographiques de Samet – des images composées avec soin de paysages environnants et de visages qu’il prétend détester mais qui sont d’une redoutable beauté – ponctuant les actes du film qui se déroulent tout en douceur.
Le scénario, intelligent et profond, nous invite à réfléchir ainsi aux questions fondamentales de la condition humaine, telles que le bien et le mal, l’individualisme et le collectivisme. Et finalement ce titre Les herbes sèches pourrait nous renvoyer au livre d’Ésaïe chapitre 40, dans la Bible : « L’herbe sèche, la fleur tombe ; Mais la parole de notre Dieu subsiste éternellement. » C’est peut-être là que finalement pourrait rejaillir une certaine envie d’espérer.