Les Linceuls de David Cronenberg a été présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 2024. Après le décevant Crimes of the Future, le cinéaste canadien revient avec une œuvre endeuillée, explorant notre rapport à la mort à travers le prisme de la technologie. Une matière sensible pour le « regard protestant » que nous cherchons à porter ici.
Karsh, 50 ans, est un homme d’affaires renommé. Inconsolable depuis le décès de son épouse, il invente un système révolutionnaire et controversé, GraveTech, qui permet aux vivants de se connecter à leurs chers disparus dans leurs linceuls. Une nuit, plusieurs tombes, dont celle de sa femme, sont vandalisées. Karsh se met alors en quête des coupables.
Karsh, incarné par Vincent Cassel, est un entrepreneur veuf qui tente de surmonter la perte de son épouse Becca (Diane Kruger) en inventant un dispositif inédit : le “GraveTech”, une technologie permettant de voir en temps réel le corps de ses proches se décomposer dans leur cercueil. Sous ses allures de dystopie élégante, Les Linceuls est en réalité un cri silencieux, une tentative désespérée de maintenir un lien avec l’absente. Cronenberg, fidèle à ses obsessions technologiques, signe ici un film intimiste et funèbre, traversé par sa propre douleur : celle de la perte de son épouse en 2017. Mais cette mise en scène du deuil par la technologie sonne comme un cri silencieux. Karsh ne veut pas oublier. Il veut voir. La douleur ne cède pas à l’oubli, mais à une forme de contrôle artificiel, presque morbide. C’est là que l’interrogation spirituelle surgit.
Ce que la technique ne peut pas soigner
Cette volonté de contrôler l’incontrôlable touche un point sensible : peut-on vraiment faire son deuil à travers une interface ? Peut-on (ou doit-on) regarder la mort en face… littéralement ? Voir la mort de près aide-t-il à mieux la vivre ? Ou est-ce une manière de retarder l’inéluctable : le détachement, la séparation, le silence ?
On pourra repérer une tentation bien connue : celle de remplacer le mystère par la maîtrise. Or, face à la mort, ce que nous offre l’Évangile n’est pas un outil, mais une promesse. Dans Les Linceuls, Karsh ne parvient pas à lâcher prise. Il incarne cette volonté contemporaine de maîtriser l’inacceptable, de repousser les limites du deuil comme on annulerait une transaction. Et pourtant, à quoi sert-il de contempler la mort si l’on ne croit plus à la vie ? Que reste-t-il alors ?
L’espérance plutôt que le fantasme
Les Linceuls est une parabole contemporaine – mais incomplète. Là où le film explore le désespoir du veuf moderne, le message chrétien propose une autre lecture du deuil : non pas comme une angoisse à neutraliser, mais comme une traversée habitée d’espérance. Une phrase simple peut venir se confronter à ce que Cronenberg nous livre : la vie ne nous appartient pas, et la mort n’est pas la fin. Ce que Les Linceuls tait, l’Évangile l’affirme avec audace : « Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. » (Matthieu 5:4). Son film, aussi glaçant que méditatif, touche à cette blessure humaine universelle. Il en déploie le désespoir, mais s’arrête au seuil de l’espérance. L’espérance que la mort n’aura pas le dernier mot. L’espérance d’une communion restaurée, non pas par un écran, mais par ce que je préfèrerai nommer une résurrection. Il ne s’agit pas de nier la douleur, mais de croire que cette douleur peut être transformée.
Les Linceuls est un film dérangeant, parfois figé, mais toujours habité par une sincérité crue. Cronenberg nous oblige à regarder ce que nous ne voulons pas voir : la perte, l’absence, la chair décomposée. Mais il ne va hélas pas jusqu’à la lumière. C’est à nous, alors, d’entendre dans ce film une question silencieuse : à quoi me raccrocher quand tout s’effondre ? À l’écran, ou à la promesse d’un monde nouveau ? Un film sans doute à voir, non pour s’y abandonner, mais pour y discerner ce que notre culture peine à nommer : l’âme en quête d’éternité.