Texte de Michel Guerrier, pasteur, initiateur du groupe Parolimage.

Les protestants seraient-ils hostiles aux images religieuses, voire destructeurs, iconoclastes, à l’instar des redoutables djihadistes de ces derniers mois ? C’est vrai, il est bon de rappeler notre passé, il y a dans la Réforme au moins une méfiance vis-à-vis de l’image religieuse considérée comme allant contre le commandement : « Tu ne te feras pas d’images taillées… » Chez Calvin comme chez Zwingli mais aussi dans toutes les métropoles rhénanes touchées par le mouvement. Comme à Strasbourg où la municipalité fit enlever les nombreux autels latéraux du Munster, pour les remplacer plus tard par des versets bibliques. Luther était dans ce domaine plus réfléchi : face aux destructeurs inconsidérés d’images, à Wittenberg et ailleurs, il s’interposa énergiquement : « Les images sont-elles mauvaises ? C’est que votre cœur y jette un mauvais regard » s’écriait-il. Donc, plus important que l’image, c’est le regard porté sur elle. Encore faut-il ajouter qu’en dépit de cette forte clarification de Luther et qu’en dépit d’une amitié très communielle de celui-ci avec le grand peintre Lukas Cranach, les arts plastiques n’ont pas produit, du moins dans notre région, des fruits très spectaculaires.

Une imagerie sans prétentions

Et pourtant, il faut toujours nuancer. Honnêtement, nous n’avions pas l’impression d’avoir été élevés dans un désert d’images. Nous avons toujours eu des Bibles suggestivement illustrées : qui ne se souvient des méchants serpents du désert s’enroulant autour des femmes affolées ou de ce pauvre Etienne succombant sous les pierres avec ce regard implorant vers le ciel ouvert ; nous avions aussi les petites images gentilles, récompensant notre assiduité à
l’école du dimanche ; et puis, les souvenirs de baptême, coeurs flamboyants de tulipes, de coqs prophétiques et de douces colombes, des souvenirs de confirmation au-dessus de notre lit avec des reproductions de Van Gogh ou de Rembrandt – nous ne le savions pas -, mais ceux-ci étaient bien protestants, et à Pâques, quel plaisir de découvrir dans la petite herbe du printemps les couleurs oignon des oeufs et les jaunes des Lämmele, bientôt sans remords
sacrifiés dans le chocolat chaud du petit déjeuner. Et n’oublions pas que dans notre région nous avions, c’est une notable exception, des recueils de cantiques illustrés par les peintres du cru qui nous consolaient de la longueur des sermons, Hans Matter, Henri Bacher ou par d’autres plus lointains comme Rudolf Schaeffer. C’étaient des arts simples et tendres, joyeux et populaires mais qui nourrissaient notre piété, notre intelligence et notre sensibilité.

L’art abstrait, proche de l’intériorité protestante

Plus difficile est aujourd’hui le passage à l’art contemporain sous toutes ses nombreuses formes, surprenantes, extravagantes voire scandaleuses. La difficulté d’accès à ce langage moderne est d’ailleurs tout à fait semblable chez les catholiques pourtant plus habitués à l’image religieuse. A Ernolsheimles-Saverne, le projet était de mettre des vitraux dans les trois baies gothiques du choeur. On aurait pu penser qu’une église dédiée à l’archange Saint Michel reprenne les motifs traditionnels de l’énergique archange défenseur des croyants apeurés, ailes, armes, Satan vaincu aux pieds et grimaçant de dépit. Mais non ! L’artiste François Bruetschy a fait le choix de faire partir de la droite et de la gauche d’étroites coulées rouges pour les faire se rencontrer dans le vitrail central en un espace de paix, de liberté retrouvée, de silence rayonnant. Mais tout ceci est très abstrait. Mais la présence de forces bienfaisantes et invisibles autour de nous n’est-elle pas mieux rendue par ce simple jeu de lignes sur fond nacré que par l’attirail angélique d’autrefois ? Allez donc dans cette charmante église aux pieds des Vosges ! Ayant en tête ce que la Bible dit des anges et de leur qualité d’humbles messagers d’un Dieu secourable, vous ne serez pas déçus.