L’approche captivante de la tradition lovecraftienne est le fruit d’une équipe créative exceptionnelle, composée de l’écrivaine Misha Green et des producteurs exécutifs JJ Abrams et Jordan Peele. Combinant habilement l’action-aventure exaltante avec des éléments de science-fiction et d’horreur, cette série épique tombe à point nommé.
Dans l’Amérique raciste des années 1950 où sévissaient les terribles lois Jim Crow, mises en place pour entraver l’effectivité des droits constitutionnels des Afro-Américains, Atticus Black, un jeune homme de 25 ans, vétéran de la guerre de Corée, embarque avec son amie Letitia et son oncle George dans un road trip à la recherche de son père disparu. Sur la route, ils rencontrent des monstres fantastiques, ainsi que des monstres bien réels… c’est le début d’une longue histoire faite de magie, de phénomène paranormaux et d’horreurs toutes humaines.
Le timing ne pourrait pas être plus parfait pour une série comme Lovecraft Country dans le sillage du mouvement Black Lives Matter, des récentes élections américaines et de la pandémie mondiale. Car nous avons ici une série spectaculaire dans laquelle la fantaisy, l’horreur, une certaine spiritualité ambiante et l’héritage raciste de l’Amérique produisent paradoxalement des résultats absolument remarquables qui finalement en disent beaucoup sur notre mode d’hier mais aussi, tristement, d’aujourd’hui. Car si certains virus couronnés nous attaquent actuellement d’autres sont bien plus anciens, nettement plus résistants et continuent de nous pourrir inlassablement l’existence humaine.
En utilisant les codes d’American Horror Story mais avec du Get Out, un peu de Watchmen, du Stranger Things, Buffy ou encore Fringe, sans négliger des réminiscences de Stephen King et plein d’autres références possible encore, Lovecraft Country trouve sa juste place pour devenir l’une des meilleure série de l’année, et en gardant malgré tout un caractère unique, créatif et défiant les genres. La fusion des styles et la narration explorée dans chaque histoire autonome est excellente. Misha Green parvient à tisser habilement le récit central qui explore la lignée des Freeman, à travers un thème passionnant différent à chaque épisode. Les personnages se retrouvent ainsi à sauter d’une aventure genre Indiana Jones à une exploration d’une maison hantée en passant par un bon dans l’espace et le temps. Etonnant, vraiment, en maniant l’humour, voire même le grotesque parfois (en l’assumant pleinement) avec une dose d’occultisme, de spiritualité chrétienne et bien sûr d’horreur où l’hémoglobine coule parfois à flot… et pourtant, croyez-moi, avec tout ce que je viens de vous dire… ça se tient et même plus, ça fonctionne vraiment très bien !
Car sans doute finalement, la grande force est encore ailleurs… au cœur des sous-entendus qu’elle contient. Tout comme dans l’extraordinaire série Watchmen de Damon Lindelof, les thèmes, le commentaire social et la vision historique de Lovecraft Country mettent en évidence et explorent par là-même les questions de races, comme on dit aux États-unis ; en montrant en particulier comment des gens peuvent être bien plus effrayants que les monstres de HP Lovecraft. Tandis que Watchmen met en lumière le massacre racial de Tulsa en 1921, Misha Green choisi de nous faire découvrir des Sundown Town ou Villes de la tombée de la nuit (je vous prépare un article sur le sujet très prochainement). Mais en quelques mots, il s’agit de communes américaines de l’ère Jim Crow qui avaient voté des lois interdisant la présence de personnes « non blanches » à l’intérieur des limites de la ville après le coucher du soleil. Et c’est ici que le producteur exécutif, Jordan Peele de Get Out, apporte sans doute son formidable savoir faire en matière d’horreur et de forces métaphoriques. Sur ces questions de couleur de peau, on peut aussi évoquer l’épisode extraordinaire ou le « changement de peau » (littéralement) interroge notre rapport à notre identité et, de surcroit, à notre sexualité. Car oui, clairement (ou faudrait-il plutôt dire « sombrement »), Lovecraft Country est une pure allégorie, qui ne fait pas dans la dentelle, sur l’oppression raciale et sexuelle dans les années 1950, établissant en même temps des parallèles nombreux avec notre aujourd’hui. Même si les héros combattent des monstres qui se cachent dans les bois ou dans le sol, les monstres les plus effrayants et les plus redoutables de tous pourraient être le gérant d’un restaurant qui ne sert personne de couleur, les flics qui vous arrêteront juste parce que vous êtes noir, les voisins qui vous harcèlent parce que vous avez osé vous installer dans un quartier blanc, les villes entières qui seront heureuses de vous voir pendu si vous n’êtes pas parti au coucher du soleil.
De belles trouvailles artistiques apportent aussi un vrai plus au scénario. Mêlant le contemporain au passé, Misha Green porte son récit au-delà de son cadre des années 1950, créant un patchwork à travers le temps, célébrant la culture noire à travers l’histoire, en utilisant avec goût des œuvres de James Baldwin, Ntozake Shange, Gil Scott-Heron et Leiomy Maldonado. Cette façon de faire permet à Lovecraft Country de célébrer la négritude tout en réécrivant le récit des Noirs américains. Il construit une nouvelle mythologie qui démontre la contribution des Noirs américains à l’histoire des États-Unis, tout en déconstruisant le récit qui lui a été imposé par une culture blanche qui a cherché à oublier ou à excuser son passé raciste.
Alors oui, Lovecraft Country est une série en effet effrayante, même souvent terrifiante, mais qui est si bonne, si profonde, militante et inspirante que vous aurez forcément envie de regarder chaque épisode avec frénésie et de lancer aussitôt le suivant. Il ne fait aucun doute pour moi que cette série est en lice pour le titre de meilleure série de l’année.