Moi, capitaine, arrive en salles ce mercredi après avoir remporté le Lion d’argent du meilleur réalisateur et le prix Marcello Mastroianni du meilleur acteur pour Seydou Sarr à la Mostra de Venise. Il représentera l’Italie aux Oscars 2024.
Seydou (Seydou Sarr) et Moussa (Moustapha Fall), deux jeunes sénégalais de 16 ans, décident de quitter leur terre natale pour rejoindre l’Europe. Cependant, sur leur chemin, les rêves et les espoirs d’une vie meilleure sont très vite anéantis par les dangers de ce périple.
Faire du cinéma social n’est pas aisé. Difficile de ne pas tomber dans l’évidence, d’abandonner toute subtilité, ou de ne construire que sur les bons sentiments. Vient aussi le risque de réaliser une fiction si réaliste qu’il n’y a plus guère de différence avec un documentaire. Avec Moi, Capitaine, Garrone aurait pu d’ailleurs très facilement tomber dans ces pièges et faire, au demeurant, un film de plus sur un sujet que l’on a déjà vu des centaines de fois : l’histoire d’un migrant venu en Europe à la recherche d’un présent et d’un avenir meilleurs. Mais, au contraire, Matteo Garrone réussi sur tous les plans en racontant une véritable odyssée, adoptant une approche naturaliste saisissante. À ce propos, il explique que son film est né du tissage de plusieurs récits de jeunes qui ont éprouvé la traversée de l’Afrique vers l’Europe. En les écoutant, dit-il, j’ai pris conscience que leurs histoires constituaient sans doute le seul récit épique contemporain possible.
Dans son choix scénaristique, le réalisateur choisit judicieusement de se focaliser sur ce qui précède l’arrivée en Europe et non l’inverse comme cela a si souvent été fait.
Seydou, héros moderne de 16 ans
J’ai voulu, raconte Garrone, que ma caméra filme dans la direction radicalement opposée de celles des médias. Embrasser la perspective et le point de vue de ces personnes pour narrer ce voyage épique, fait de vie et de mort. Ce périple de ces deux jeunes adolescents sénégalais vers l’Europe, espérant contre toute espérance (à la façon d’un Abraham longtemps auparavant), mais aussi pris de doutes, de remords, et affrontant les pires horreurs, est absolument fascinant. Ce film trouve ainsi une résonance mondiale dans l’histoire spécifique de ce jeune Seydou, un héros moderne de 16 ans dont le voyage commence à Dakar, lorsque son cousin le convainc de quitter le Sénégal pour l’Italie. Ce qui commence comme une petite aventure joyeuse, pleine de couleurs et de vie, se transforme organiquement en une histoire brute, violente, palpitante et épique. L’espoir inné est battu, malmené, mais jamais éteint.
Violence du voyage et lueurs d’espoir
Garrone dépouille progressivement le protagoniste de son innocence et nous emmène avec lui : morts dans le désert, torture dans une prison libyenne, mafia, trafic d’êtres humains, emplois inhumains et manipulations en tous genres. Bien que la violence infligée aux personnages ne soit jamais totalement montrée, Garrone en montre les conséquences, à la fois physiques et mentales, et l’effet est d’une force considérable. Le genre qui vous frappe sans que vous vous en rendiez compte et qui laisse des traces. Mais, malgré la noirceur des événements, Moi, Capitaine est bel et bien lumineux.
Tout au long du parcours, il y a de petits triomphes et des gentillesses chaleureuses qui apportent des lueurs d’espoir pour l’humanité et donnent à notre jeune protagoniste la force de continuer à avancer. Le film est magnifiquement capturé par le directeur de la photographie Paolo Carnera, apportant, de la sorte, une forme d’apaisement nécessaire tandis que la formidable partition d’Andrea Farri et certains moments oniriques font beaucoup de bien. Mais comment ne pas non plus relever l’extraordinaire travail absolument saisissant de Seydou Sarr, qui joue pour la première fois. Quelle performance d’acteur ! Avec son regard éveillé, son âme et son physique saisissant, il se révèle comme un acteur extrêmement attachant, qui permet au public de vivre tous les hauts et les bas, jusqu’au moment où il est poussé à prendre la barre en tant que capitaine du bateau à travers la Méditerranée, comprenant pleinement la responsabilité qu’il porte pour ces familles effrayées.
En racontant cette histoire de façon si vivante et sous un angle nouveau, Garrone a réalisé un film captivant, plein de ténacité et d’espoir. Le monde aurait tant intérêt à s’intéresser à l’histoire de Seydou et aux millions d’autres histoires, hélas bien réelles, qui lui ressemblent…